- GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP
Par
Laurent Valdiguié
Publié le 05/06/2020 à 11:16
Dans des notes de travail adressées à Emmanuel Macron, le chef des députés LREM torpille Edouard Philippe et propose sa liste de noms. Dévoilant une Macronie bien à la peine. A commencer par Le Gendre lui-même.
Les couteaux sont tirés. Rien ne va plus dans les rangs de la majorité présidentielle, désormais en ordre dispersé à l’Assemblée. Alors que le groupe parlementaire qu’il dirige a éclaté en trois, Gilles Le Gendre, chef des députés LREM désormais très fragilisé, complote… contre le Premier ministre. Dans des notes dont Marianne a eu connaissance, le député de Paris propose carrément à Emmanuel Macron son casting pour un nouveau gouvernement. Il a même en tête un plan complet : Le Maire à Matignon, Valls aux Affaires étrangères, Castaner à la Défense, Le Drian à l’Intérieur…
A ce stade, ce « gouvernement Le Gendre » aura de quoi en faire sourire plus d’un. Et risque de faire grincer les dents de ses nombreux recalés. Si rien n’indique que le président applique à la lettre ces propositions, elles ont pour mérite de témoigner des grandes incertitudes qui planent au sommet de l’Etat. Et des sérieux problèmes de ressources humaines auxquels la Macronie est confrontée.
Le Gendre se plaint de l'attitude "d'Edouard" à l'Assemblée
Les échanges que nous révélons ici remontent aux derniers jours de mai. « Cher président, sur le casting d’un nouveau gouvernement », commence Gilles Le Gendre. Son message est découpé en 4 points. « Point 1. Quelques principes, alignés sur des réflexions déjà partagées avec toi. » Le Gendre campe le décor, en référence à des conversations antérieures avec le président, révélant ainsi l’état d’esprit de ce dernier : « Un changement n’a de sens qu’au service de ta vision (notre “réinvention”) des deux prochaines années : le plan de reconstruction, le rééquilibrage politique (retour urgent du “dépassement”), la méthode (“concorde”). »
"Le PM : le choix naturellement le plus délicat", écrit Le Gendre
Ce préambule posé, l'auteur écrit que « le choix du Premier ministre doit remettre le tandem de l’exécutif dans le bon sens ». Première pique à Edouard Philippe. « A toi la vision, poursuit le député en s’adressant au président, la stratégie, la relation aux Français, au PM [Premier ministre] l’opérationnel et l’animation de la majorité. » Deuxième pique à mots moins couverts. Car Gilles Le Gendre se plaint dans la foulée de l’attitude d’« Edouard » à l’Assemblée, qui se « garde bien d’intervenir dans les affaires de la majorité ! » Une erreur à ses yeux. Le Gendre ajoute : « Le gouvernement doit être un vrai collectif, ce qui n’a jamais été le cas pendant trois ans. » Et une pique de plus. La plus vacharde. « Le choix des hommes ne peut être indépendant de l’architecture gouvernementale », poursuit Gilles Le Gendre qui estime que « les circonstances se prêtent à un pack très peu nombreux de ministres de premier plan, très politiques réunis autour du PM et soutenus par un second rang de secrétaires d’Etat, au profil plus techniques. » Le député se dit aussi « très favorable », à une idée, qu’il reprend à son compte et qui semble lui avoir été suggérée préalablement : celle d’un futur « ministère de la Reconstruction [...] englobant tous les domaines stratégiques : économie, écologie, travail ».
Le Maire, son "faible charisme", Mais...
Ce paysage anti-Philippe posé, l’auteur en vient au point 2 de sa lettre : « Le PM : le choix naturellement le plus délicat. » « Aucune solution ne réunira tous les critères », prévient-il d’entrée, avant d’aborder les deux « favoris ». Il débute par « Jean-Yves ». Comprendre : Le Drian. Le Gendre campe d’abord ses qualités : « Envoie le bon signal politique ; saura gérer la majorité, dans la complexité actuelle de sa composition ; offre un contraste de générations avec toi qui n’est pas inintéressant », dit-il en référence aux trente ans de différence d’âge entre le président et son actuel ministre des Affaires étrangères. Après avoir souligné les atouts de « Jean-Yves », Le Gendre l’exécute en une phrase : « Mais il appuiera peu l’élan que nous souhaitons donner. » Le député en vient au second « favori », dont il est réputé proche. « Avec Bruno, poursuit-il, c’est un peu l’inverse. » Selon Gilles Le Gendre, l’actuel ministre de l’Economie « porterait parfaitement la reconstruction ». Il décrit Le Maire comme ayant « pensées et discours limpides », mais un « faible charisme ». Le Gendre ajoute un autre bémol : « Capacités d’animation de collectifs politiques (gouvernement et majorité) à démontrer. » Et corrige le tir aussitôt : « Mais tout à fait possible. »
L’auteur de ces mots admet qu’« aucun choix n’est évident ». « C’est même la raison qui pourrait justifier de ne pas changer de PM. » Et cette option, Le Gendre ne peut s’y résoudre : « J’inverse le raisonnement. C’est parce qu’il faut changer que nous devons prendre des risques. » Pour enfoncer le clou, Gilles le Gendre assure que ces « risques » sont « mesurés si l’on adopte l’architecture évoquée » : « quelques ministres “lourds”, quasiment vice-premiers ministres » et un « PM » décrit comme devant être « essentiellement un animateur, l’incarnation de la politique gouvernementale auprès de l’opinion ». Entre les lignes, une vision de la future équipe parfaitement compatible avec… Bruno Le Maire.
Véran, Fesneau ou Guillaume à Matignon
Exit donc Philippe selon lui… Dans sa lettre au président, le député balaye sommairement d’autres options pour Matignon. « Dans le groupe » parlementaire qu’il dirige : « Aucun candidat crédible », écrit-il sèchement. Les 281 députés qui l’ont élu chef de file apprécieront… Au sein du gouvernement, Gilles Le Gendre voit, « en ordre décroissant », trois challengers possibles : « Olivier Véran, Marc Fesneau et Didier Guillaume. » Le ministre de la Santé, celui des Relations avec le Parlement et celui de l’Agriculture ont pour mérite à ses yeux d’avoir des « atouts et des fragilités très différents » et sont tous les trois « majorité-compatibles ».
Le Gendre évoque enfin la possibilité d'« outsiders », choisis « dans le vivier des grands élus locaux », mais ne cite qu’un seul nom, celui de Jean Rottner, l’actuel président (« certes LR modéré ») du conseil régional du Grand Est, dont le profil lui paraît « intéressant »… Sa nomination permettrait selon lui d’envoyer « un joli message aux territoires et un signal de rassemblement (à défaut d’union nationale) ».
Voilà pour toutes les hypothèses de Matignon, même si une seule, celle de Bruno Le Maire ne semble sérieusement envisagée par Gilles Le Gendre.
"Un cas complexe : Manuel Valls"
« Point 3 » du message : « Le sang neuf et la société civile. » Le Gendre suggère trois noms, mais pas comme « Premier ministre », précise-t-il : Eric Lombard, le patron de la Caisse des dépôts, Frédéric Mion, le directeur de Sciences-Po Paris, et Marie-Ange Debon, la directrice générale de Suez.
Dans son courrier au président, le député a gardé pour le dernier paragraphe, le « point 4 », « un cas complexe : Manuel Valls ». « Clivant pour une partie de la majorité, admet-il, mais nous n’avons pas tant d’atouts dans notre jeu pour négliger ce poids lourd », concède-t-il, favorable à son retour. « Mais pas comme PM. » En fait, sans qu’il le mentionne noir sur blanc dans son message à Emmanuel Macron, c’est… aux Affaires étrangères, que Le Gendre imagine le come-back de l’ancien Premier ministre de François Hollande.
En concluant son « casting », Gilles Le Gendre admet « un (énorme) défaut », « peu de femmes ». Pas faux… Pas vraiment d'écolos non plus alors que tout indique que l'Elysée « cherche du vert ».
"Dis-moi si je déconne, un peu, beaucoup, pas du tout."
Pour ces raisons, est-il pris d’un doute au moment d’envoyer ses propositions ? Avant de faire partir ce texte à l’Elysée, le député en adressera une copie à Philippe Grangeon, le principal conseiller politique du président. « Cher Philippe, voici le message - risqué - que je m’apprête à envoyer au PR. Dis-moi si je déconne, un peu, beaucoup, pas du tout. Et si ce serait utile que j’y ajoute certaines de tes idées, en les reprenant à mon compte, bien sûr. » Sa réponse le rassure : « Si tu ne veux pas tarder, envoie ta réflexion. Elle n’a rien de déconnant. » Une validation qui en dit long : Grangeon ne tique ni sur le retour de Valls, ni sur le scénario Le Maire…
Exit Sibeth Ndiaye
Gilles Le Gendre a d'ailleurs en tête, selon nos informations, un projet complet de gouvernement. Un casting plus détaillé et cohérent en tous points avec sa lettre au président. Outre Le Maire à Matignon, il imagine donc Eric Lombard au ministère de l’Economie, épaulé au Budget par Agnès Pannier-Runacher, actuelle secrétaire d’Etat à l’Economie. Blanquer resterait à l’Education, mais Castaner passerait… aux Armées. Exit Florence Parly, que Le Gendre voit au Travail. Valls entrerait comme ministre des Affaires étrangères et Le Drian irait remplacer Castaner à l’Intérieur. Gérald Darmanin écoperait des Affaires sociales, Marc Fesneau de l’Agriculture. Frédéric Mion prendrait la Culture. Gilles Le Gendre imagine aussi Marie-Ange Debon à l’Industrie. Et quid de Sibeth Ndiaye, l’actuelle porte-parole du gouvernement actuelle ? A la trappe. A sa place et comme futur ministre des Relations avec le Parlement, Gilles Le Gendre verrait bien… Gilles Le Gendre. On n’est jamais si bien servi que par soi-même.
Sollicité mardi 2 juin au matin par Marianne sur son courrier au président et son « casting » détaillé, le député assure qu’il n’a « rien à en dire ». « Mes messages avec le président de la République n’ont pas vocation à se retrouver dans la presse », réagit-il, refusant d’évoquer « le moindre nom »… « Il est normal que les responsables de la majorité discutent entre eux », se défend-il. Même réaction à l’Elysée : « Gilles Le Gendre, en tant que patron des députés En Marche, est parfaitement légitime pour faire remonter des idées », réagit un conseiller. « Il l’a déjà fait». Pas de réaction en revanche du côté de Philippe Grangeon. Celui qui passe pour le « vieux sage » de la présidence est en phase « de réflexion » sur le prochain remaniement annoncé par l’Elysée entre le 28 juin et le 14 juillet. « Si Philippe s’en va, il n’y a que quatre options, Bayrou, Ferrand, mais ils sont empêchés par les affaires, et Le Maire ou Le Drian », confirme à Marianne un proche du président… « Grangeon aime bien Le Maire, qui a effectivement fait savoir qu’il était prêt, mais rien n’indique encore que Philippe s’en aille. Il n’a pas démérité », glisse cette source. Réputé « lent » dans sa prise de décision, Emmanuel Macron a encore un mois devant lui… Le président consulte. Depuis sa résidence d’été du Cap Nègre, Nicolas Sarkozy lui a soufflé les noms de Sébastien Bazin, l’actuel patron du groupe Accor, de Maud Fontenoy, la navigatrice, et de l’ancien policier Frédéric Péchenard, comme devant rentrer au gouvernement. « Macron est réputé n’écouter personne, mais in fine il écoute toujours Grangeon, et dans l’intervalle il entend tout le monde », sourit un proche du président, pas persuadé pour sa part d’un éventuel retour de … Manuel Valls.
"Si Philippe s’en va, il n’y a que quatre options, Bayrou, Ferrand, mais ils sont empêchés par les affaires, et Le Maire ou Le Drian" - Un proche du président
Du côté de Matignon, sur le sujet remaniement, on renvoie la balle dans le camp de l’Elysée et « des institutions ». « Mais pour avancer, il faudrait que le président et son Premier ministre aient une longue discussion en tête-à-tête, ce qui n’a pas été le cas depuis longtemps, puisqu’ils sont toujours au moins quatre, avec leurs directeurs de cabinet respectifs », avance un proche d’Edouard Philippe. Concernant les grandes lignes des propositions Le Gendre ce conseiller soupire : « Le Premier ministre et le chef de file des députés En Marche n’ont jamais vraiment eu d’atomes crochus », admet-il, bien conscient que « la majorité, actuellement, est en effervescence ». Le « casting Le Gendre » envoyé à Emmanuel Macron en témoigne à lui tout seul. D’une très grande effervescence…