• George Floyd : la colère s'est emparée des rues américaines

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    31 mai 2020

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    Des heurts entre manifestants et policiers ont secoué samedi soir plusieurs grandes villes des États-Unis, placées sous couvre-feu pour tenter de calmer la colère qui s'est emparée du pays depuis la mort de George Floyd.

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  • Derek Chauvin, le policier incriminé dans la mort

    de George Floyd avait déjà fait l'objet de 18 signalements

     

    Vidéo

    INTERPELLATION - Derek Chauvin, le policier accusé d'avoir étouffé George Floyd lors de son arrestation, a été interpellé ce vendredi pour homicide involontaire. Il avait fait l'objet de 18 plaintes en interne mais celles-ci n'avaient jamais donné lieu à sanction.

    Son visage a marqué les esprits. Sa liberté a provoqué la colère. Celui qui est accusé d'avoir asphyxié George Floyd est désormais arrêté. "Le policier impliqué dans la mort de M. Floyd, qui a été identifié comme Derek Chauvin, a été placé en détention" par la police criminelle, a annoncé ce vendredi 29 mai le commissaire John Harrington, du département de la Sécurité civile du Minnesota. Il est inculpé d'acte cruel et dangereux ayant causé la mort et d'homicide involontaire.

    Dans la police depuis 19 ans, ce quadragénaire est celui qu'on voit dans la vidéo de l'arrestation de George Floyd, qui a précédé sa mort. Filmé le genou sur la tête de cet Afro-américain décédé peu après, il a ravivé les plaies raciales des Etats-Unis. 

    Plusieurs plaintes à son actif

    A 44 ans, Derek Chauvin a été licencié, comme trois autres policiers, après les faits. Mais cette annonce du maire de la ville, Jacob Frey, n'avait pas suffi à calmer la colère de la population, outrée par les images de l'arrestation violente de cet Afro-américain. Les habitants de Minneapolis sont sortis dans la rue, créant de nouvelles scènes de violences urbaines. Une situation qui a poussé au déploiement de 500 soldats de la garde nationale

    Entre autres raisons de cette colère, l'impunité à laquelle les forces de l'ordre auraient le droit. Et pour cause, l'officier, qui a rejoint les rangs de la police de Minneapolis en 2001, avait déjà été impliqué dans plusieurs incidents. En tout, il a fait l'objet de 18 plaintes en interne, selon le département de police, qui n'a cependant pas précisé de quelles infractions il s'agissait.

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    Mais les médias locaux ont fouillé son passé. Et retrouvé plusieurs articles le concernant. Ainsi, le plus grand quotidien de l'État du Minnesota, Star Tribune, rappelle qu'en 2008, l'homme avait tiré et blessé un individu sans armes après un appel pour violences domestiques. The Daily Beast note quant à lui que Derek Chauvin était l'un des cinq officiers mis en congé forcé de trois jours après la mort d'un individu lors d'une opération policière. Les autorités avaient par la suite déterminées que cette équipe avait agi "de manière appropriée" en abattant le jeune homme de 23 ans et ses hommes avaient pu reprendre du service. 

    Chacune des plaintes disponibles sur la base de données en ligne d'un collectif qui documente les cas de violence policières, montrent qu'elles se sont toutes conclues par "aucune sanction" ou uniquement une lettre d'avertissement. Ce groupe, baptisé le Communities United Against Police Brutality - littéralement les Communautés unies contre la brutalité policière - reproche également à cet individu d'avoir indirectement provoqué la mort de trois personnes. Elles sont décédées après qu'une voiture, que poursuivaient Derek Chauvin et un autre agent, les a heurtées, en 2005. Une situation qui est loin d'être une exception. A ses côtés, l'officier Tou Thao, lui aussi limogé, a six plaintes à son actif, dont l'une est toujours en cours. 

    Un pro-Trump ?

    Dès l'identité du policier révélée, les réseaux sociaux se sont empressés d'en savoir plus sur cet homme dont le visage symbolise aux yeux de nombreux Américains celui de la violence policière contre les personnes racisées. Une publication a alors rapidement laissé penser que cet ancien officier était sur la scène lors d'un rassemblement pro-Trump en octobre dernier dans le Minnesota. 

    Le cliché montre en effet plusieurs officiers souriants debout aux côtés du président des Etats-Unis dans des t-shirts où est inscrit "Cops for Trump" (la police avec Trump). USA Today a cependant révélé que l'homme en question était en fait Mike Gallagher, le président d'un syndicat de police. 

    Connaissait-il George Floyd ?

    C'est l'une des grandes interrogations soulevées ce vendredi. Et si l'homme arrêté pour homicide involontaire connaissait sa victime présumée ? C'est en tout cas ce qu'avancent de nombreuses sources interrogées par les médias américains. En premier lieu la patronne d'un resto-bar. Interrogée par la chaîne locale KSTP, elle a révélé que les deux hommes étaient collègues de travail jusqu'en 2019 au El Nuevo Rodeo, dans le centre-ville de Minneapolis. "Ils travaillaient ensemble en même temps. C'est juste que Chauvin a travaillé à l'extérieur et que les gardes de sécurité [dont George Floyd faisait partie ndlr.] étaient à l'intérieur."

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    Climat : avant même l’été, l’Arctique atteint

    un pic de chaleur exceptionnel

    Le cercle arctique connaît une vague de chaleur qui brise encore quelques records. Un météorologue nous livre une piste d'explication.

    En Sibérie, au-dessus du cercle arctique, il faisait 25,4°C, ce vendredi 22 mai 2020. Cette température se situe tout simplement 25,4 degrés au-dessus de la température normale pour l’époque dans la région, habituellement de zéro degré.

    Ces 25,4 degrés ont été enregistrés plus particulièrement dans la ville de Khatanga, qui bat au passage son record de chaleur en cette période, autrefois de 12 degrés. Le record mensuel est également battu : la température moyenne à l’échelle du mois est de 30 degrés, alors qu’elle n’avait pas dépassé 20 degrés jusqu’alors.

    Cette vague de chaleur entraîne une fonte plus tôt que d’habitude (illustration). // Source : Pixabay

    La fonte estivale a déjà commencé

    Ces températures dans la péninsule de Taïmyr, partie arctique de la Sibérie, « dépassent l’imaginable » a noté le météorologue Gaétan Heymes sur Twitter, qui ajoute que cela pourrait encore durer. Même constat pour le chercheur finnois Mika Rantenen. S’il rappelle que la Sibérie peut connaître un été chaud, il précise que « 30.5°C au sein du cercle arctique en mai est vraiment exceptionnel ». La vague de chaleur touche en réalité tout le cercle arctique depuis la mi-mai. Car au-delà de la Sibérie, on enregistre même bien plus que les 25,4 degrés : les températures touchent les 26, 28, 30 degrés. Comme le rappelle le climatologue Martin Stendel dans le Washington Post, le pic est d’autant plus exceptionnel que l’on ne trouve pas d’équivalent depuis 1958, date à laquelle on a commencé à enregistrer les données climatiques dans la région.

    Contacté par Numerama, Gaétan Heymes nous explique que cet « événement météo exceptionnel » est causé par «  la formation d’un dôme d’air chaud et sec en altitude, un blocage anticyclonique, du même type que ceux qui génèrent les canicules en Europe l’été ». Si personne ne peut se prononcer sur un lien direct et irréfutable entre cet épisode et le changement climatique, Gaétan Heymes rappelle que la vague de chaleur a clairement des sources contextuelles.

    Qu’est-ce qu’un albédo ?
    Les rayons du Soleil procurent à tout corps qui les reçoivent une certaine quantité d’énergie. On désigne par albédo la part qui est réfléchie, contre la part absorbée. Un corps clair a un albédo fort car très réfléchissant. C’est le cas de la neige. Un corps sombre est peu réfléchissant et a donc un albédo faible.

    «  Le cycle de rétroaction positive via l’albédo et la forte absorption de la chaleur par les sols moins enneigés joue un rôle indéniable pour l’obtention de forte chaleur au-delà du cercle arctique », nous explique le météorologue. En clair, un hiver plus doux (donc plus chaud sur l’échelle des températures) a provoqué une moindre persistance des neiges en Sibérie sur le printemps. En l’absence de cette neige, la lumière du Soleil se reflète moins, le sol absorbe plus de chaleur, les températures augmentent, la neige continue alors de fondre davantage, et ainsi de suite.

    Cet hiver plus doux dans le Nord est, quant à lui, causé une « anomalie de circulation en Arctique, l’oscillation arctique positive qui favorise une concentration du vortex polaire au-dessus du pôle ». Une anomalie de circulation provoque une persistance des anticyclones, lesquels favorisent un temps sec et ensoleillé. Ces anomalies dans la circulation de l’air ne sont plus vraiment surprenantes pour la région, nous précise Gaétan Heymes. « Elles s’inscrivent dans le schéma bien connu de l’amplification arctique. » En effet, face à un équilibre changeant, l’Arctique connaît un réchauffement plus rapide que la moyenne planétaire. En somme : la corrélation partielle entre le changement climatique et ce pic est clairement visible, mais la causalité n’est pas établie.

    Cette vague de chaleur arctique de 2020 n’est en tout cas pas sans conséquence : les fortes chaleurs et le ciel dégagé par l’air doux accélèrent la fonte des glaces. Un résultat déjà observable concrètement, puisque la fonte estivale de la mer de Kara a d’ores et déjà commencé. Le climatologue Zack Labe a posté un graphique où l’on voit bien ce phénomène de fonte précoce : il représente les périodes de fonte des glaces de la mer de Kara de 1979 à nos jours. En rouge, c’est 2020.

    En 2020, l’épisode de fonte de la mer glacée de Kara, comparé aux autres années. // Source : @ZLabe

    Cet épisode s’inscrit dans la continuité des événements climatiques extrêmes qui secouent l’Arctique depuis quelques années. Dès l’été 2018, on parlait de températures largement au-dessus de la moyenne dans la région en août. En 2019, la communauté humaine la plus au nord du Canada relevait un record historique de température. Quant au Groenland, l’année 2019 a signé de son côté un record en matière de fonte des glaces en une seule journée, un phénomène qui pourrait se reproduire en 2020 puisque la vague de chaleur en Arctique touche le Goenland. Rappelons que ces fontes massives ont un impact sur le reste du monde, puisqu’année après année, cela contribue à l’élévation des mers.

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  • 24/05/2020 à 14h28

    Les protocoles DNS-over-HTTPS et DNS-over-TLS sont désormais intégrés dans les navigateurs et les systèmes d’exploitation. Une nouvelle protection salutaire qui réduit la surveillance de masse et les risques de piratage, mais qui fait aussi grincer quelques dents.

    Dans sa version 83, le navigateur Chrome introduit une nouveauté majeure, à savoir le « DNS sécurisé ». Cette fonction permet de chiffrer les requêtes DNS (Domain Name System) et elle est activée par défaut si le fournisseur d’accès Internet le propose. Après Firefox, c’est le deuxième grand navigateur à intégrer cette technologie. Étant donné ses parts de marché, Chrome va probablement contribuer à un blindage généralisé de ce protocole qui est l’un des piliers du web.

    En effet, le DNS, c’est un peu l’annuaire du web. Il permet d’obtenir l’adresse IP d’un serveur web à partir d’un nom de domaine. Le protocole utilisé est à la fois hiérarchique et récursif. Le navigateur va d’abord interroger le serveur DNS du fournisseur d’accès Internet. S’il ne trouve pas la réponse dans son cache, la requête est envoyée aux serveurs racine du DNS, puis transférée selon un principe de délégation aux registres concernés avant d’atterrir sur le serveur DNS du site en question.

     
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  • « La Poste n’est plus qu’un fantôme de service public,

    c’est une société anonyme, une machine à fric »

    par Un postier grenoblois (Le Postillon) 16 avril 2020

    Depuis le début de la crise sanitaire, les postiers subissent un lynchage médiatique, accusés de ne pas assez se sacrifier pour l’effort de « guerre ». Dans cette lettre à la presse, un postier grenoblois raconte, de son point de vue, les véritables raisons des défaillances postales d’un service public en ruine. Cette lettre a initialement été publiée dans le journal grenoblois Le Postillon.

    Je suis postier en CDI, et je continue de bosser pendant le confinement. Le 28 mars dernier, le Dauphiné Libéré [un quotidien régional] a publié un grand article, pour une fois non signé et énervé, intitulé "Quand La Poste vous prive de votre journal". Et tous les journaux se sont passé le mot criant à une "rupture de service public préjudiciable à l’information et aux entreprises" et critiquant le choix de la direction de La Poste de ne distribuer le courrier pendant le confinement plus que trois jours par semaine, les mercredis, jeudis et vendredis. Pour ajouter au drame, les journaux interrogeaient des retraités émus de ne plus pouvoir lire leur journal le matin. Puis la télévision a emboîté le pas, même TF1 était outrée par les fermetures de nombreux bureaux de Poste et les pauvres retraités qui ne peuvent plus retirer leurs économies.

    « Tandis que les infirmières et les caissières étaient des héroïnes, nous, les postiers, on était des salauds, des déserteurs »

    Et puis la déferlante médiatique s’est transformée en lynchage en règle contre les postiers. Tandis que les infirmières et les caissières étaient des héroïnes, nous, les postiers, on était des salauds, des déserteurs et en plus la fente des boites aux lettres est trop petite pour mettre les grosses enveloppes. Alors tout ça m’a mis en colère.

    Colère tout d’abord parce que La Poste avait fait n’importe quoi et continuait gaiement ses affaires. Dans les centres de tri, chez les facteurs, les chauffeurs, aux guichets, aucun signe de masque, pas de gants, très peu de gel, pas de vitres entre le public et les postiers. Des syndicats ont mené la bataille pour imposer des choses très basiques, que La Poste daigne commander des plexiglass et des masques. Mes collègues ont bricolé des hygiaphones avec des bâches plastiques et d’autres se sont débrouillés pour trouver des masques et du gel à gauche à droite pendant que la direction nationale était aux abonnés absents.

    « Les centres courriers devenaient des foyers de contagion du virus, des clusters postaux »

    Entassés casiers contre casiers, les facteurs tombaient malade les uns après les autres et les centres courriers devenaient des foyers de contagion du virus, des clusters postaux. À Saint-Laurent-du-Pont, Moirans, Saint-Marcellin, Grenoble, des facteurs se sont saisi du droit de retrait pour dénoncer le manque de mesures de prévention et de protection. Des alertes pour "danger grave et imminent" ont été déposées par les syndicats dans plein de centres, comme à Moirans où six salariés ont été contaminés.

    Il aura fallu les interventions du syndicat et de l’inspection du travail pour que le centre soit fermé pour être désinfecté. Puis la plainte en référé de Sud le 25 mars qui a mis un coup de calgon à la direction de La Poste. Étrangement ils ont rapidement trouvé des masques et du gel dans leurs réserves, puis des plexiglass sont arrivés le premier avril, mais en nombre insuffisant - comme une blague de mauvais goût. Et encore à ce jour de nombreux postiers travaillent sans masques.

    « Dans le même temps, une tornade de colis Amazon déferlait dans le réseau postal »

    Dans le même temps, une tornade de colis Amazon déferlait dans le réseau postal. Des clients confinés se lâchaient frénétiquement sur les achats en ligne sans penser aux travailleurs invisibles derrière l’écran. Les hubs logistiques comme ceux de Fedex à Roissy et les entrepôts Amazon apparaissent eux aussi comme des foyers d’infection dénués d’équipements de protection.

    © Le Postillon

    L’urgence de stopper la machine était évidente. On réclamait une pause, qu’on coupe le contact avec Amazon, qu’on redéfinisse un service public vital aux besoins de la population. À ce jour, La Poste ne veut toujours rien entendre : « Le PDG de la Poste se refuse à faire la police du colis quand certains appellent à refuser des envois jugés non-essentiels. Il préfère en appeler à la responsabilité des clients et des chargeurs », nous informe Le Dauphiné libéré du 2 avril. En d’autres termes, profiter du contexte et de la mise à l’arrêt du concurrent Mondial Relay pour doper les volumes. Le 9 avril, le PDG de La Poste se félicite même sur Europe 1 : « Jamais il n’y a eu autant d’envois de colis ! »

    « Il aurait été plus judicieux de distribuer un jour sur deux en alternant deux « brigades étanches » de facteurs »

    Sur le terrain la situation reste chaotique. Ce virus a été un révélateur de ce qui se déroule en temps normal de façon moins spectaculaire. À force de travailler en flux tendu, en sous-effectif, à force d’exploiter les sous-traitants, de faire défiler les intérimaires et les alternants, La Poste a perdu toute résilience. Déjà en temps normal on n’a plus de remplaçant pour ouvrir les bureaux en cas d’absence tandis que la moitié des bureaux ont fermé en 15 ans. Déjà en temps normal les « tournées à découvert » sont banales, les livraisons de colis sont aléatoires, et les journaux distribués en fin d’après-midi avec l’éclatement des horaires de travail imposé par les dernières restructurations. Et là, avec des parents contraints de rester à la maison, des alternants sommés par le ministère de l’éducation de rentrer chez eux et des centaines de malades, tout s’est effondré, la ruine est devenue visible.

    C’est dans ce contexte qu’est tombée cette décision lunaire, annoncée sans concertation, de distribuer le courrier seulement trois jours d’affilée par semaine, alors qu’il aurait été plus judicieux de distribuer un jour sur deux en alternant deux « brigades étanches » de facteurs comme proposaient les syndicats pour limiter le risque sanitaire. Peu importe, le mal était fait, c’était nous les salauds.

    « Une presse égocentrique et capricieuse qui parle de nous sans nous interroger, sans enquêter »

    Alors, j’ai aussi de la colère contre cette presse égocentrique et capricieuse qui parle de nous sans nous interroger, sans enquêter. Et je doute que ce soit la déconfiture du service public qui chagrine les patrons de presse, mais plutôt la perte d’abonnés et surtout la chute des recettes publicitaires provoquées par l’arrêt de la distribution quotidienne. Pour mieux dénoncer la « rupture de service public » les médias ont rappelé l’aide annuelle de l’État de 100 millions d’euros à La Poste en échange de garantir la distribution des journaux six jours sur sept.

    Ce qu’ils oublient de dire, c’est que la presse papier touche des centaines de millions d’euros d’« aide au portage » de la part de l’État et bénéficie d’un tarif postal de presse très avantageux, comme tout un tas de journaux n’ayant pas grand-chose à voir avec de l’information générale (magazines de loisirs ou d’assurances). Ce tarif subventionné est-il juste, sachant qu’il ne bénéficie pas à de plus petits titres dénués de publicités ?

    « Risquer sa santé, celle du public, pour distribuer des pubs ou la nouvelle paire de baskets commandées sur Internet »

    En hurlant à la « rupture de service public », les médias sont passés complètement à côté des décisions et des enjeux chamboulant La Poste depuis des années. La Poste n’est plus qu’un fantôme de service public, c’est une société anonyme depuis dix ans, une machine à fric. Elle vient de vivre très discrètement une des dernières phases de privatisation ce 4 mars 2020. Par un montage financier tortueux, la Banque Postale, filiale de La Poste, a pris contrôle de l’assureur privé CNP, côté en bourse, grâce au transfert des parts de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) qui est passée en échange à 66 % du capital du groupe La Poste. En clair, La CDC contrôle désormais La Poste, et bien qu’elle émane de l’État, la CDC fonctionne comme un vulgaire fonds de pension, en cherchant toujours à aspirer un maximum de profits de ses investissements. La Poste annonçait un bénéfice en hausse avec 822 millions d’euros en 2019. Pas mal, mais la CDC vise le double d’ici 2030.

    On aurait pu en parler de tout ça dans les colonnes des journaux, assez vides ces dernières semaines. Ça aurait pu être l’occasion de tout remettre à plat et de redéfinir ce que pourrait être un service public postal moderne. Parce que si des postiers exercent leur droit de retrait, c’est aussi parce qu’ils ne comprennent pas l’intérêt de risquer leur santé, celle du public, celle de leurs familles pour distribuer des pubs ou la nouvelle paire de baskets commandées sur Internet.

    « Alors si au lieu de défoncer les postiers on posait publiquement des questions sur l’avenir de La Poste ? »

    Alors si au lieu de défoncer les postiers on posait publiquement des questions sur l’avenir de La Poste ? À quoi doit servir La Poste ? À qui elle devrait appartenir ? Où devraient aller les bénéfices ? Un envoi par Amazon ou par un particulier doit-il coûter le même prix ? Quelles conditions de travail pour les postiers ? Quel sens donner à notre travail ?

    Tout un tas de questions dont j’ai peu d’espoir qu’elles soient traitées dans vos colonnes. Car suite à votre coup de pression, La Poste et la presse se sont réconciliées. Non seulement parce que La Poste a cédé, en revenant une semaine plus tard sur sa décision en annonçant que les journaux seraient finalement distribués cinq jours par semaine. Mais aussi parce que le 3 avril elle s’est payée une pleine page de publicité dans presque tous les quotidiens nationaux et régionaux, puis des annonces à la radio et à la télévision pour un budget estimé à plusieurs millions d’euros. Là-dessus, les médias n’ont rien trouvé à redire et des centaines d’articles élogieux sur notre PDG ont fleuri dans les journaux les jours suivants.

    Un postier grenoblois

    Ce texte a été publié à l’origine sur le site du bimestriel grenoblois Le Postillon. Nous le reproduisons ici avec leur permission. La version papier du Postillon n°55 sera disponible à la vente à Grenoble à partir du 17 avril.

    Photo de une : © Pedro Brito Da Fonseca

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    • Philosophie et environnement

       

      « La pandémie n’est pas une vengeance de la Terre,

      c’est le résultat de notre rapport à la nature »

       

      par Barnabé Binctin 28 mai 2020

       

      Le nouveau virus, issu d’un contact entre l’humain et l’animal, pose la question de notre rapport au monde vivant. La philosophe Virginie Maris s’intéresse depuis longtemps à ces sujets : dans un livre passionnant, La Part sauvage du Monde (Seuil, 2018), elle interroge les voies d’une possible cohabitation entre humains et non-humains, en rappelant qu’il faut pour cela « restreindre notre territoire ». Première partie de cet entretien.

      Basta ! : Une certaine interprétation de la crise du Covid-19 consiste à y voir une forme de « vengeance » de la Terre, comme si l’émergence du virus agissait comme une rébellion face aux destructions environnementales imposées par les activités humaines… Que vous inspire la tonalité de ces propos ?

      Virginie Maris [1] : Il y a deux lectures possibles à cette parabole. La première revient à dire que ce qui se joue relève d’une régulation naturelle et d’une certaine nécessité écologique, eu égard à notre niveau de consommation des ressources et à notre densité de population. En biologie, c’est un phénomène bien connu : on sait que les populations se maintiennent à un certain niveau de compatibilité avec ce qu’on appelle la « capacité de charge des milieux », la capacité des ressources à se régénérer d’elles-mêmes. À l’inverse, au-delà d’une certaine densité, il y a le risque d’une surexploitation des ressources, également l’augmentation de la transmission des pathogènes à cause d’une fréquentation trop rapprochée. Tout cela finit par induire une surmortalité de la population.

      C’est, d’une certaine façon, une lecture assez « charitable », puisqu’elle s’appuie sur une considération biophysique parfaitement documentée par les sciences naturelles. Pour autant, cette lecture ne me convient pas du tout, car l’humain ne se comporte justement pas comme les autres espèces animales. Dans les sociétés humaines se développe une aversion à la mort et à la souffrance. Il me semble donc tout à fait odieux de justifier l’élimination des surnuméraires de la population humaine sur la base de processus naturels ! C’est d’ailleurs une idée qu’on retrouve dans une certaine version « fascisante » de l’écologie, ou dans la bouche d’écologues extrêmement misanthropes. Cela fait directement écho à la pensée de Garrett Hardin [2], et à sa métaphore du lifeboat ethics (l’éthique du radeau de sauvetage, en français) : si on laisse monter trop de monde sur le radeau, à la fin, tout le monde finira par couler. Il y a là une forme de réduction biologique d’un problème social et politique, celui de la surconsommation et de la répartition inégalitaire des richesses.

      Et la deuxième interprétation possible ?

      Ce serait une version qui attribue une intentionnalité à la Terre. Autrement dit, l’émergence de ce virus ne serait pas neutre, répondant à un phénomène strictement écologique, mais dépendrait d’une volonté de « Gaïa » ou de mère-Nature de nous punir. Là non plus, je ne suis pas vraiment sensible à ce genre d’interprétation, qui s’apparente à une version contemporaine du châtiment divin, avec un péché et une expiation. C’est ainsi qu’ont été interprétées toutes les grandes épidémies, par le passé.

      Même en admettant qu’il faille effectivement « expier des péchés », la forme du coronavirus ne me paraît pas du tout appropriée pour cela : s’il y a bien eu, ici ou là, quelques symboles dignes d’une sorte d’ironie du sort – comme c’est par exemple le cas avec le trafic aérien, qui se retrouve figé alors qu’il est directement impliqué dans les émissions de CO2 – la réalité nous montre aujourd’hui que les principales victimes, les morts et ceux qui souffrent le plus de la situation actuelle, ne sont absolument pas celles et ceux qui en sont les responsables. Dans les deux cas, cette fable d’une « vengeance de la Terre » ne me paraît pas éclairante pour penser correctement la situation.

      Peut-on néanmoins considérer que les activités humaines ont une responsabilité dans cette pandémie ? L’origine concrète du virus reste encore incertaine à l’heure actuelle, mais quelle que soit l’hypothèse envisagée, tout concorde à y voir l’influence de l’anthropisation…

      Cette question de la responsabilité est essentielle, et il faut garder cela à l’esprit : on se déclare victime alors qu’on est en partie responsable. Ce « on » est justement très trompeur, car tous les humains ne sont pas dans le même bateau. Les responsabilités, entre les sociétés et à l’intérieur d’elles entre les individus, sont très différenciées. C’est le risque de cette fable d’une Nature vengeresse de l’humanité : nous faire croire que nous sommes tous également responsables de la situation actuelle, alors qu’en réalité, tout le monde ne participe pas de la même façon à la dégradation des milieux naturels ni aux processus politico-économiques qui ont fait de la transmission de ce virus une pandémie ! Ce sont certaines sociétés, et certains acteurs dans ces sociétés-là, qui portent le plus gros poids du fardeau.

      Qu’est-ce qui est en cause, selon vous ?

      La pandémie met à nu toutes les pathologies de notre société contemporaine. La destruction effrénée des milieux naturels, notamment la disparition des forêts tropicales, ainsi que la réduction de la biodiversité sont directement liées à un rapport productiviste et extractiviste à la nature, dans un contexte de surconsommation globalisé.

      Il reste en effet des choses à éclaircir concernant ce Covid-19, mais on sait qu’il y a eu d’autres zoonoses par le passé et qu’il y en aura d’autres à l’avenir. Le monde sauvage est un réservoir fantastique de pathogènes, avec lesquels nous n’avons aucune histoire commune, que nous n’avons jamais rencontrés. Dès lors que nous multiplions les contacts avec eux – que ce soit nous-mêmes directement, ou par l’intermédiaire de nos animaux domestiques – cela ne peut que conduire à l’augmentation de ce genre de situation. Parmi ces pathogènes, il y en a plein qui restent inoffensifs ou qui ne passent pas la barrière de l’espèce. Une fois de temps en temps, ça finit cependant par donner le Sras, Ebola, Zika, et toutes ces maladies qu’on appelle « émergentes »…

      Cela dit-il quelque chose de notre rapport au vivant ? A-t-on oublié la complexité inhérente à son évolution et à nos interactions avec lui ?

      Je ne sais pas si on peut dire qu’on avait « oublié ». Les scientifiques le savent très bien, l’OMS aussi, les écologues également, nombre de revues documentent cela. J’ai plutôt l’impression que du côté de la communauté scientifique, on a parfaitement conscience des risques. Plus qu’oublié, je dirais donc qu’on a occulté, comme si on ne souhaitait pas avoir la mémoire des grandes épidémies. En soi, cela interroge assez peu notre rapport au vivant, cela a plus à voir avec une certaine psychologie de masse et un phénomène de déni, notamment du côté des pouvoirs publics.

      En revanche, je pense qu’il y a une incapacité à penser en termes épidémiologiques, c’est-à-dire à penser la santé humaine comme un processus écologique. Une infection par exemple, on la considère essentiellement au niveau de l’organisme, qui est attaqué par un ennemi et contre lequel il faut avoir la bonne arme. Le coronavirus nous invite à ne plus penser la santé humaine seulement comme une question parlant du corps d’un individu vis-à-vis de son extérieur, mais au contraire à replacer les corps dans les groupes, et replacer les groupes dans leur environnement. Autrement dit, la santé humaine dépend directement des habitudes sociales, de la santé animale et de la santé écosystémique. C’est un décalage important. Dès lors qu’on accepte que la santé humaine – et donc, un accès de fièvre ou un besoin de respirateur artificiel par exemple – est liée à cet ensemble complexe d’interactions entre individus au sein d’un groupe social, et d’échanges entre le groupe social et son milieu, on comprend la situation actuelle de façon plus juste, me semble-t-il.

      Ce qui en fait d’ailleurs une très bonne raison de défendre la biodiversité, puisqu’elle est une arme très efficace contre les virus…

      La diversité du vivant nous protège des pathogènes à de multiples niveaux : d’abord en multipliant les hôtes potentiels – plus on a un nombre important d’espèces pouvant héberger le virus, moins grand est le risque qu’il s’acharne sur nous – et aussi à travers la diversité des pathogènes eux-mêmes. C’est quelque chose que l’hygiénisme a complètement occulté : il vaut bien mieux avoir une grande diversité de pathogènes peu virulents plutôt qu’une absence totale, car il suffit qu’un seul surmonte nos précautions pour qu’alors il occupe tout l’espace ! La diversité des pathogènes les contraint à se limiter entre eux par la compétition. Et la diversité des populations, humaines et animales, permet des réactions différentes selon les hôtes.

      C’est tout l’enjeu de l’antibiorésistance, qui pourrait bien être la source de la prochaine grande crise sanitaire mondiale. La surconsommation d’antibiotiques, pour la santé humaine mais surtout dans l’élevage, produit de vraies poudrières. L’antibiotique est un biocide qui tue toutes les bactéries, mais le vivant est toujours plus rapide et plus inventif que les compagnies pharmaceutiques, donc les bactéries détournent les antibiotiques et développent des hyper-résistances très dangereuses. Or l’industrialisation de l’élevage a complètement homogénéisé les espèces produites et on se retrouve avec des populations très vulnérables dès que des individus sont malades.

      Quand on pense à la déforestation, on pense d’abord à la disparition d’un volume et d’une surface, qui s’amenuisent au profit d’espaces aménagés par l’humain. L’enjeu, c’est donc aussi la diversité et l’hétérogénéité qui composent ces milieux ?

      Il suffit de regarder le front « colonial » de l’Asie du Sud-est : là-bas, non seulement l’humain s’avance sur la forêt tropicale, qui est un joyau de biodiversité avec une incroyable diversité spécifique au m2, mais il la remplace par des plantations d’huile de palme, qui est probablement l’écosystème le plus pauvre, le plus homogène, le plus unifié qu’on puisse imaginer. On remplace un cortège innombrable de micro-organismes, végétaux et animaux, avec des étages de vie qui sont autant de petites planètes à elles seules, par une culture totalement monolithique. Le sol s’appauvrit, il n’y a qu’une espèce végétale, et quasiment plus aucune espèce animale qui puisse vivre dans ce paysage-là. Au front d’accaparement s’ajoute donc un front d’homogénéisation. D’une certaine façon, l’histoire de l’huile de palme raconte assez bien combien la colonisation humaine de l’espace induit un appauvrissement radical de sa diversité.

      Certains ont qualifié le coronavirus de maladie de « l’Anthropocène » [3], un terme et une grille de lecture que vous critiquez : pour quelles raisons ?

      Je n’en fais pas un ennemi conceptuel, mais cela revient à nouveau à désigner les humains dans leur ensemble au lieu de distinguer des responsabilités différentielles. Plutôt que d’homogénéiser avec le terme « anthropo », des auteurs suggèrent des concepts alternatifs qui identifient les rapports de domination à l’œuvre : capitalocène, plantationocène qui désignent plus précisément les bouleversements engendrés par le capitalisme ou par l’esclavagisme [4]. De par leur terminologie, ces concepts portent une charge critique contre le caractère dépolitisant de l’anthropocène.

      Par ailleurs, l’idée d’anthropocène peut avoir pour effet de renforcer encore notre terrible arrogance et ce narcissisme consistant à penser que nous sommes vraiment, absolument, le centre du monde. On a souvent évoqué l’anthropocentrisme dans le domaine de la morale – avec l’idée qu’il faudrait être capable de penser la valeur morale d’entités autres que les êtres humains – mais il y a aussi un anthropocentrisme épistémique : on a beaucoup de difficultés à considérer le monde autrement que tournant autour de nous-mêmes. C’est un véritable handicap pour penser le monde naturel, et la possibilité d’avoir des relations un peu harmonieuses avec lui. En mettant à ce point l’emphase sur les activités humaines, les discours de l’anthropocène peuvent contribuer à entériner encore davantage cette centralité de l’action humaine, laissant penser que tous les maux viennent des humains mais aussi que c’est exclusivement par le génie humain que nous pourrons sortir de cette crise.

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      Vous expliquiez auparavant que les êtres humains ne se considèrent pas comme une population animale comme les autres et qu’à bien des égards, il fallait se féliciter de ce que cela avait permis – le refus de la loi de la jungle, le rejet de la souffrance, etc. – et donc éviter les lectures trop « biologisantes ». Mais cette spécificité ne porte-t-elle pas en elle dès le départ un certain sentiment de supériorité ?

      Je ne vois pas tant de contradictions à cette situation : on peut tout à fait penser notre spécificité humaine, socialement et psychologiquement, sans en déduire pour autant que l’on soit supérieur. Les questions de la spécificité et de la hiérarchie sont, pour moi, complètement indépendantes l’une de l’autre. Au contraire, on pourrait aussi constater que l’une des spécificités humaines, c’est cette incroyable capacité cognitive à penser un monde à l’extérieur de soi, et donc à faire de la science. En réalité, la science n’est devenue le corollaire de la puissance et de la maîtrise que tardivement, dans l’histoire – c’est la révolution moderne qui associe le savoir au pouvoir.

      Les fourmis ne s’intéressent pas à l’astrophysique : la curiosité à l’égard du monde extérieur et la capacité à y déceler des règles qui ne dépendent ni de notre volonté ni de nos représentations – ce qui constitue précisément la démarche scientifique – voilà bien une spécificité humaine qui devrait nous aider à nous décentrer pour réaliser que la nature et l’univers fonctionnent dans une totale indifférence à nos desseins et à nos désirs… Il me semble qu’il s’agit là d’une bonne façon de réconcilier l’idée d’une spécificité humaine, avec l’idée que nous ne sommes ni le centre du monde, ni le sommet de la pyramide.

      Recueilli par Barnabé Binctin

      Photo : vue d’une exploitation de sables bitumineux en Alberta (Canada)

       

      Notes

      [1Virginie Maris est philosophe, chercheuse en philosophie de l’environnement de l’unité Biodiversité et conservation du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive à Montpellier.

      [2Biologiste américain connu pour avoir popularisé la « tragédie des communs », dans les années 60

      [3Voir par exemple Dominique Bourg, dans cette interview accordée à Contexte

      [4Pour approfondir ces réflexions, voir par exemple cette synthèse de Donna Haraway

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      • Rohingya : les bateaux errants d’une pandémie

        Rohingya : les bateaux errants d’une pandémie

        20 mai 2020 – La Covid-19 n’arrête pas les migrations. En revanche, la maladie sert d’excuse à de nombreux gouvernements pour restreindre l’accueil des réfugiés et des migrants grâce à la fermeture des frontières. Sous prétexte de mesures sanitaires, ils ignorent les bateaux prêts à accoster après un long et dangereux périple. En Méditerranée et dans le golfe du Bengale, des centaines de personnes se retrouvent ainsi piégées en no man’s land.

        Des Rohingya piégés en mer

        Dans le contexte de la pandémie mondiale, les conditions qui prévalent dans les camps de réfugiés Rohingya au Bangladesh inquiètent de plus en plus. Fin avril, Human Rights Watch alertait sur des approvisionnements en nourriture et en eau de plus en plus difficiles dans le cadre des restrictions adoptées par le Bangladesh face à la pandémie. Alors que des premiers cas de Covid-19 viennent d’être confirmés dans les camps, l’inquiétude ne fait qu’augmenter.

        L’extrême précarité des conditions de vie, l’impossibilité de travailler et l’absence de perspective poussent certains Rohingyas à faire confiance aux trafiquants d’êtres humains qui promettent une traversée vers la liberté. Il est ainsi fréquent que des bateaux quittent le Bangladesh en direction de la Malaisie, où les Rohingya espèrent un avenir meilleur. Face à la dégradation des conditions dans les camps, ces départs risquent d’aller en augmentant. Mais à quel prix ?

        Avec la crise sanitaire mondiale, les gardes côtes malaisiens refusent que les bateaux accostent et les renvoient en mer. De retour au Bangladesh, ils sont à nouveaux refoulés, abandonnés en mer. Ce procédé – appelé « jeu de ping-pong » par les Nations Unies – annonce une condamnation à mort de centaines de personnes. Selon les associations locales, cinq bateaux seraient actuellement bloqués en mer, sans que l’on puisse les localiser précisément. La semaine passée, Amnesty International faisait état d’environ un millier de personnes piégées en mer.

        La Malaisie a reconnu avoir renvoyé en mer plusieurs bateaux, dont le dernier en date au début du mois de mai comptait 200 personnes à son bord. Dans un appel commun du 7 mai 2020, 18 organisations humanitaires internationales – parmi lesquelles Médecins du Monde France, Action contre la Faim et Solidarités International – ont notamment appelé les gouvernements de la sous-région à engager des opérations de recherche et de sauvetage en mer pour secourir ces réfugiés et à leur apporter l’assistance à laquelle ils ont droit.

        En avril, un navire chargé de 400 personnes a finalement reçu l’autorisation d’amarrer au Bangladesh après deux mois en mer sans eau potable, nourriture ou soins médicaux. Parmi les passagers se trouvaient environ 150 enfants. Malnutris et déshydratés, les survivants présentaient également des traces de violence physique commises par les trafiquants. Il est estimé qu’au minimum 30 à 70 personnes à bord auraient perdu la vie. Le recensement exact est presque impossible étant donné que les morts sont automatiquement jetés par-dessus bord. Il est par ailleurs monnaie courante de tuer et enterrer ou jeter à la mer tout réfugié qui ne peut pas apporter une rallonge au paiement de la traversée.

        L’abandon en mer est illégal

        « Je ne connais pas de loi qui stipule qu’on soit autorisé à laisser les gens mourir en mer en cas de pandémie ».[1] Le refoulement des migrants en mer constitue une violation du droit international des droits de l’Homme, du droit international de la mer, du droit international des réfugiés et du droit international humanitaire. Les Etats sont autorisés à contrôler leurs frontières et à refuser l’entrée aux migrants sous certaines conditions. Cependant, l’impératif d’assistance des personnes en mer est immuable et indérogeable. Cette obligation coutumière existe depuis des centaines d’années et est inscrite aujourd’hui dans plusieurs conventions, notamment la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS). Le Bangladesh, la Malaisie, l’Indonésie, Singapour et la Thaïlande, voisins maritimes de la Birmanie, ont tous ratifié cette convention. De plus, en agissant de la sorte, les Etats violent le principe de non-refoulement qui leur interdit de renvoyer des personnes sur un territoire où elles risquent d’être persécutées ou subir d’autres graves violations des droits de l’Homme. Le processus de Bali adopté en 2016, dont tous ces pays sont parties prenantes, vise à une coopération régionale dans la gestion des migrations et la lutte contre la traite des êtres humains. En février 2020, le groupe de travail mis en place dans ce cadre a réaffirmé son engagement pour une réponse humaine aux migrations maritimes clandestines et son soutien pour le respect du principe de non-refoulement. L’ONU encourage l’activation du mécanisme consultatif pour résoudre cette crise humaine dans la mer d’Andaman.

        La mise à l’isolement des Rohingyas par le Bangladesh

        Pendant ce temps, le Bangladesh met à profit la situation actuelle pour mettre à exécution son projet de relocalisation des Rohingya sur le site contesté de Bashan Char. Cet îlot submersible situé dans le golfe du Bengale a fait l’objet d’un plan de réhabilitation, présenté par le Ministre des affaires étrangères, Shahriar Alam. Situé à plusieurs heures du continent en bateau, Bashan Char est particulièrement exposé aux violentes intempéries qui frappent la région.

        Sur Bashan Char, les Rohingyas seront isolés du monde. La pêche sera leur seule perspective d’emploi et leurs besoins élémentaires tels que la santé ou l’éducation ne seront pas couverts. Mme Yanghee Lee, ex-Rapporteure spéciale de l’ONU sur la situation des droits humains en Birmanie, avait pu visiter le site il y a quelques mois et s’était alarmée que rien ne prouve qu’il soit viable. Les ONG locales et internationales, ainsi que les réfugiés eux-mêmes, n’ont eu de cesse de dénoncer ce projet et de nombreuses voix ont appelé le Bangladesh à renoncer à sa mise en œuvre. Le Ministre avait assuré attendre une évaluation de « l’île » par l’ONU avant d’enclencher la relocalisation, tout en affirmant que seules les personnes « volontaires » y seraient transférées. Pourtant, des dizaines de Rohingyas ayant tenté de fuir le Bangladesh par la mer ont été transférés sur le site. Alors que le gouvernement bangladais manque de transparence sur le sujet, les appels lancés depuis des mois contre cette relocalisation rencontrent peu d’écho.

        Le cyclone Amphan, actuellement à l’approche, suscite des inquiétudes. Libération, dans son édition du 19 mai 2020, rapporte que « les garde-côtes bangladais évacuent les habitants des îles isolées », sans que l’on sache « si les quelques dizaines de migrants rohingya placés ces dernières semaines en quarantaine sur Bhasan, l’île sur laquelle les autorités bangladaises prévoient de reloger une centaine de milliers de réfugiés, ont pu être ramenés à terre, ou si les autorités estiment que les abris cycloniques flambant neufs seront suffisants.»

        Les Rohingyas en danger en Malaisie

        Les Rohingyas s’exposent à d’autres dangers lorsqu’ils prennent la mer. Car les Etats de la sous-région ont tendance à pénaliser les migrants plutôt que les trafiquants. Pendant l’épisode migratoire de 2015 durant lequel près de 3000 personnes étaient bloquées en mer, la Malaisie a finalement accepté d’accueillir 1100 d’entre elles, dont 400 Rohingya. Un an après, ils étaient encore maintenus en détention dans le centre de Belantik. La découverte de 140 corps de Rohingya et Bangladais dans la jungle en 2015 illustre le manque d’efforts dans la lutte contre la traite des êtres humains. En Thaïlande, neuf personnes ont été condamnées, mais aucune ne l’a été en Malaisie. L’ONU incite les Etats à s’inspirer des dispositions du Pacte mondial sur les migrations et du Pacte mondial sur les réfugiés pour assurer des migrations sûres et légales. Elles encouragent également les Etats à enquêter et punir les trafiquants conformément à la Convention des Nations Unies sur la criminalité transnationale organisée, signée par les Etats de la sous-région.

        Depuis avril 2020, un mouvement populaire de haine se développe en Malaisie à la suite du refoulement des bateaux de Rohingyas par les autorités. Les menaces de violences physiques et sexuelles contre la communauté Rohingya se multiplient sur les réseaux sociaux. En pleine pandémie de Covid-19, les habitants considèrent les réfugiés comme responsables de l’importation du virus. De plus, un ministre a déclaré que les Rohingya n’avaient aucun statut légal et qu’ils étaient par conséquent des immigrés illégaux. Dans un communiqué du 11 mai 2020, 84 organisations de la société civile ont interpellé les autorités pour leur demander de ne pas alimenter ce mouvement de haine et y mettre un terme. Elles devraient avant tout condamner publiquement toute forme de haine dirigée contre les Rohingyas, que ce soit au sein de la population ou au niveau des responsables politiques.

        En Birmanie, la politique menée contre les Rohingyas persiste

        Alors que la condition des Rohingyas sur leurs terres d’exil se fait de plus en plus pressante, elle ne s’améliore pas en Birmanie. Les autorités birmanes ont jusqu’au 23 mai 2020 pour rendre leur premier rapport relatif à la mise en œuvre des mesures provisoires de protection décidées par la Cour Internationale de Justice (CIJ). Ces mesures s’inscrivent dans le cadre de la procédure ouverte par la Gambie à l’encontre de l’Etat birman, accusé de ne pas respecter la Convention de 1948 sur le génocide.

        Si quelques centaines de Rohingyas poursuivis pour déplacement illégal ont été libérés de prison à l’occasion de l’amnistie présidentielle d’avril dernier, aucune mesure n’a été prise par les autorités pour une mise en œuvre effective des mesures provisoires décidées par la CIJ. Le 9 avril, Human Rights Watch pointait à cet égard l’insuffisance de deux déclarations présidentielles récemment adoptées. Alors que l’échéance du 23 mai approche, celles-ci ressemblent davantage à des effets d’annonce, tandis que l’armée birmane évoque de nouveau une menace de l’Arakan Rohingya Salvation Army (ARSA). David Scott Mathieson, analyste indépendant basé à Rangoun, estime que « l’armée semble créer une « excuse » basée sur la sécurité nationale pour justifier sa violation des mesures provisoires ordonnées par la CIJ ». Il ajoute : « Si le gouvernement birman veut montrer qu’il veut tout mettre en œuvre appliquer ces mesures, alors l’armée doit cesser toute attaque dans l’état d’Arakan et cesser d’utiliser une rhétorique qui perpétue et justifie des actions génocidaires à l’encontre des Rohingyas. »

        Malheureusement, des Rohingya sont pris pour cible dans le cadre des combats qui opposent l’armée birmane et l’Armée de l’Arakan (AA), de plus en plus dévastateurs au sein de la population civile des états d’Arakan et Chin. L’ONU a récemment dénoncé de possibles crimes de guerre et crimes contre l’Humanité. Avant de terminer son mandat de Rapporteure spéciale de l’ONU, Mme Yanghee Lee évoquait le cas de Rohingyas délibérément visés par l’armée lors des combats.

        ***

        Si la pandémie de Covid-19 fragilise davantage les plus vulnérables, les Rohingyas se trouvent de nouveau – et sans cesse – confrontés à des situations inhumaines face auxquelles la communauté internationale se montre impuissante.

        ***

        Marie Quieffin

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      • « Qui aurait pensé que la philosophie et les sciences sociales

        en Serbie devraient de nouveau être protégées contre l’Etat ? »

        L’Institut de philosophie et de théorie sociale de Belgrade (IFDT) est repris en main par le pouvoir. Quatre cent cinquante intellectuels lancent un appel pour préserver ce creuset d’une pensée indépendante dans une Serbie où la démocratie est encore une fois menacée.

         

        Publié aujourd’hui à 08h00

         

         

         Article réservé aux abonnés

         

        Tribune. L’Institut de philosophie et de théorie sociale de Belgrade (IFDT) fut fondé par des dissidents engagés dans le mouvement de 1968 en Yougoslavie. Dans les années 1990, il s’est opposé à la politique du président Slobodan Milosevic. Depuis longtemps, cet institut est réputé pour sa tradition de pensée critique. Le professeur Zoran Dindic, opposant de longue date, et premier chef du gouvernement serbe de l’ère post-Milosevic (jusqu’à son assassinat, en 2003), a travaillé à l’institut pendant plusieurs années.

         

        En raison de son histoire et de son soutien public au mouvement social de 2019 contre les tendances autoritaires et antidémocratiques du gouvernement, l’IFDT, creuset de la pensée libérale, de gauche et critique, se voit désormais repris en main par le pouvoir politique.

         

        Le gouvernement serbe vient de nommer le nouveau conseil de surveillance de l’institut, composé de plusieurs personnalités politiques très controversées, notamment Zoran Avramovic, nommé président du conseil de l’institut. Dans les années 1990, il a occupé des postes de direction au sein du parti d’extrême droite de Vojislav Seselj, qui fut condamné pour crimes contre l’humanité par le tribunal pénal international (TPI) de La Haye.

         

        Avramovic a clairement montré comment il conçoit le fonctionnement de l’institut en soutenant la suspension du financement du centre régional de l’IFDT à Novi Sad. Les mesures répressives mises en place par le nouveau directeur – menaces de suspension des salaires, tentatives de réduire la liberté du comité scientifique de l’institut, jeunes chercheurs mis dans l’incertitude, etc. – indiquent clairement quel avenir il réserve à l’institut.

         

        Solidarité européenne

         

        La démocratie, [incarnée] en particulier par la communauté scientifique et pédagogique, est de plus en plus menacée en Serbie. Il y a également de moins en moins de médias libres. La tentative actuelle de réduire au silence et peut-être d’éliminer une institution académique autonome telle que l’IFDT affaiblit encore plus l’opinion publique démocratique serbe.

        La liberté d’opinion et de pensée critique en Serbie dépend désormais de la solidarité européenne des collègues et des intellectuels, comme cela s’était déjà produit, dans les années 1980, lorsque Jürgen Habermas, Ernst Bloch, Iring Fetscher, Oskar Negt et Albrecht Wellmer avaient appelé à soutenir l’institut. Qui aurait pensé qu’en 2020 la philosophie et les sciences sociales en Serbie?

        La suite est réservée aux abonnés

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