Anne-Sophie Bellaiche Economie , Financement
Publié le 06/05/2020 À 06H00
La profondeur et la durée de la crise qui affecte le secteur aéronautique, implique, au-delà des prêts, de renforcer les fonds propres des entreprises de la filière. L’Etat envisage de mobiliser un fonds d’investissement qui pourrait être géré par Ace management, spécialiste des industries aéronautique, spatial et de défense, qui a déjà été en charge des trois fonds Aerofund 1, 2 et 3.
Un fonds pour apporter des capitaux à l'ensemble de la filière aéronautique pour éviter le crash © Pixabay/Free-Photos
A Bercy, on se concentre en ce moment sur trois filières principales particulièrement menacées dans la crise : le tourisme, l’aéronautique et l’automobile. Peu à peu se dessinent des politiques sectorielles, avec par exemple déjà pour les commerces frappées de fermetures réglementaire, l'annulation des charges et la poursuite du dispositif du chômage partiel après le 1er juin.
Pour ce qui concerne l’aéronautique, sur France Inter, le 4 mai, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire a évoqué "la mise en place d’un fonds d’investissement pour la filière pour soutenir les sous-traitants, les PME, tout ce tissu industriel à travers le pays qui fait vivre Airbus mais qui va être demain menacé".
Jusqu’à maintenant le plan d’urgence du gouvernement ne segmentait pas son action en fonction des secteurs et s’est principalement mobilisé pour soutenir les trésoreries de toutes les entreprises avec des reports de charge et des prêts garantis par l’Etat (PGE). Depuis le 25 mars dernier, 57 milliards ont été accordés aux entreprises françaises. "Cash is king dans la période et il va le rester pendant de long mois, estime Olivier Marchal:, président du bureau de Paris de Bain & Compagnie, et il faudra peut-être repousser le début du remboursement des PGE de 12 mois à 18 ou 24".
Une convalescence à gérer
Mais l’endettement n’est pas l’ultime solution pour des secteurs dont on sait qu’ils resteront affectés même si la crise sanitaire se solde dans les prochains mois. "La dette cela repousse les problèmes", estime Clémentine Gallet, présidente de Coriolis (composites pour l’aéronautique). Car les industriels de l’aviation vont être confrontés aux difficultés de leurs grands clients, les compagnies aériennes fauchées par l’arrêt du trafic et les fermetures de frontières. "La crise actuelle est sans précédent par son volume, mais nous en avons connu d’autres, rappelle Marwan Lahoud, ex dirigeant d’Airbus et patron du fonds Ace management. En 2001, après les attentats du World trade center, plus aucun avion n’a volé pendant deux mois, nous avons retrouvé les volumes de production en 2006-2007."
Le contexte a changé, le trafic aussi. Désormais ce spécialiste du secteur estime que "si la crise sanitaire est jugulée dans des délais raisonnables, c’est-à-dire dans les 18 mois, on revoyagera en avion, même si c’est avec un peu moins de monde, et le retour des niveaux de trafic et de production interviendra d’ici 2023-2024."
Fond propres à consolider
Pour l’aéronautique, ce n’est donc pas un simple trou d’air qu’il faut gérer mais un ralentissement durable. Des interventions de haut de bilan seront nécessaires pour renforcer les fonds propres des entreprises. C’est tout l’enjeu de la création de ce fonds aéronautique qui devra faire appel à un mix d’investissements public et privés.
La démarche n’est pas nouvelle, en 2005 Aerofund I avait été lancé avec le soutien de la Caisse des dépôts et des grands donneurs d’ordre Safran et Airbus, auquel a succédé en 2008 Aerofund II, puis en 2013 Aerofund III. Ce dernier né de la gamme de 200 millions d’euros est co-investi par Bpifrance, des grands donneurs d’ordre du secteur, des privés et géré comme les deux précédents par la société Ace Management, une filiale de Tikehau.
L’entreprise Mecachrome a ainsi été recapitalisée par Aerofund en 2009, ce qui lui a permis de faire revenir son siège social en France et d’effectuer des acquisitions externes. Les fins connaisseurs de l’aéronautique d'Ace management sont des candidats tout trouvés pour gérer le lancement d’un nouveau fonds pour faire face à la crise.
Un montant financier à la mesure du secteur
Ces besoins pourraient être plus importants car le poids du secteur s’est accru avec le développement des commandes. "En 2001, la taille moyenne des sous-traitants étaient d’environ 20 millions d’euros de chiffres d’affaires, aujourd’hui on est plutôt à 150 millions d’euros", chiffre Marwan Lahoud. Si ce fonds est lancé, il devrait comme les précédents s’attacher à favoriser la consolidation du secteur "qui est encore trop morcelé en France", selon le patron de la société de gestion d’actifs.
Quelle somme doit-il réunir pour éviter une destruction de la filière aéronautique en France ? Ace Management ne se risque pas à avancer des montants car elle veut raisonner en "industriel " et au cas par cas. Mais Eric Trappier, le président du Gifas, a déjà avancé un chiffre le 5 mai. Selon lui "l'unité de mesure est du milliard d'euros" et il en faut au moins deux ou trois. Vu l’état des grands donneurs d’ordre, déjà affairé à tenter eux-mêmes de se tirer d’un mauvais pas, s’il faut réunir des sommes pareilles, il faudra que les investisseurs institutionnels et surtout l’Etat mette largement la main à la poche.