• Hong Kong : ces nouvelles formes de censure très efficaces pour empêcher les mouvements sociaux

     
     
    Répression

    Hong Kong : ces nouvelles formes de censure très efficaces pour empêcher les mouvements sociaux

     

     Atlantico : Il y a visiblement des changements dans la réception des grandes vagues de manifestations comme celle de Hong Kong depuis 1989. L’Occident les considère de moins en moins comme des phénomènes d’émancipation démocratiques, dans le sens du progrès. Qu’est-qui a changé ?

    François-Bernard Huyghe : Il me semble que nous avons vécu sur une période d’optimisme idéologique, géopolitique et technologique autour des années 1990. On était persuadé avec la chute de l’URSS et les révolutions dites de couleur, en allant jusqu’au Printemps arabe (pendant une période de vingt ans, donc), que le sens de l’histoire nous menait à des démocraties pluralistes de marché, et à des sociétés ouvertes. Et on pensait que la chose pouvait se faire spontanément par des révolutions des jeunesses populaires et urbaines, et que ces révoltes s’appuieraient sur le pouvoir libérateur des nouvelles technologies. On a attribué un grand rôle à internet dans ce sens : la technologie offrant à tout citoyen plus de moyens de s’informer et dans les manifestations, plus de moyens de s’exprimer et de se coordonner, on allait automatiquement vers le triomphe mondial d’un modèle démocratique. Tout le monde allait devenir américain, pour faire gros.

    Beaucoup d’ONG ou de gouvernements encourageaient ce mouvement de révoltes sans chef, spontanées, sans idéologies structurées : les gens de Otpor en Serbie ou les manifestants des Printemps arabes, ce n’étaient pas des vieux militants qui avaient passé des années à distribuer des tracts. C’étaient des jeunes, anglophones, qui avaient accès à internet, qui leur offraient aussi les moyens de crypter leurs messages.

    Cette énorme vague d’optimisme s’est révélée fausse à long terme. Plusieurs raisons à cela : la technologie numérique d’abord n’est pas intrinsèquement libératrice. Après les Printemps arabes, beaucoup de gens étaient persuadés qu’avec les réseaux sociaux, les gouvernements autoritaires ne pouvaient plus se maintenir, même en surveillant la presse, la radio et la télévision. C’est faux. Les dictatures sont passées par une courbe d’apprentissage classique : elles ont appris à se servir d’internet, à mieux repérer les contenus, à fermer les comptes, ou à utiliser eux-mêmes des techniques d’intervention, de désinformation, de propagation via des faux comptes. L’exemple typique, c’est la Chine. Avant les Jeux Olympiques de Pékin, il y avait eu une réunion au Sénat qui réunissait des experts du numérique. Le grand thème était le suivant : avec les JO de Pékin, il va y avoir plein de journalistes qui vont se balader avec leur connexion internet, cela va soulever une vague de protestation et de liberté dans le pays. Résultat : il ne s’est rien passé du tout parce que les Chinois ont très bien contrôlé.

    Deuxième facteur : si des foules s’assemblent spontanément pour protester, ce n’est pas forcément parce qu’ils veulent un modèle plus libéral et une société plus ouverte. On constate que les manifestations peuvent dériver vers d’autres formes de protestations, nationalistes, etc. Toutes les formes de protestations tendent à être moins hiérarchisées et moins idéologisées, prenons par exemple les Gilets Jaunes ou encore les manifestations à Hong Kong.

    Les manifestations semblent aussi avoir de plus en plus de mal à émerger. La difficulté vous semble-t-elle liée au positionnement idéologique des régimes autoritaires, beaucoup plus souples idéologiquement qu’auparavant ?

    C’est vrai, mais signalons quand même que les gens ne protestent plus contre le marxisme-léninisme. On peut dire ce qu’on veut sur le gouvernement de Hong Kong, mais ce n’est pas un gouvernement stalinien non plus. Un exemple de ce que vous dites, ce sont les Gilets Jaunes, qui n’étaient pas un mouvement structuré idéologiquement ou hiérarchisé.

    Est-ce qu’il y a selon vous aussi un usage nouveau des médias par les régimes autoritaires ? Il y a une étude d’Harvard qui montre par exemple que le régime chinois censurait constamment les revendications collectives, mais ne censure jamais les revendications de liberté individuelle. Est-ce que cela peut être une des réponses ?

    Il n’y a aucun pays sans censure. La France elle-même va exercer plus de contraintes avec sa loi anti fake news. Cela étant, la censure était exercée pendant très longtemps via les mass médias. Les mass médias déversaient des messages standardisés vers le public. Si vous contrôliez la télévision et la radio, vous pouviez penser tout contrôler. Ce n’était pas toujours vrai, évidemment, les soviétiques l’ont découvert.

    Les choses ont bien sûr changées : non seulement les populations sont de moins en moins imperméables aux médias étrangers, mais aussi à cause de l’apparition des réseaux sociaux. La bataille s’est donc déplacée. En Chine, ils sont très bons pour la censure des réseaux sociaux grâce à des algorithmes de recherche, pleins de méthodes techniques qui leur permettent d’être très forts.

    Ce qui a changé en Chine, c’est qu’ils laissent aussi la pression s’évacuer : vous pouvez probablement protester contre le maire de telle ville ou tel fonctionnaire pour un cas précis d’injustice ou d’incompétence, mais évidemment, vous ne pouvez pas critiquer globalement le système. On est plus dans des systèmes de censure systématique, utilisant les médias de masse. C’est beaucoup plus subtil : il y a des techniques d’infiltration des groupes de protestation, des façons de les diriger vers d’autres objectifs, etc. Une censure totale, avouée, connue, provoque des phénomènes d’incroyance, et provoque le contrepoison : la rumeur ou l’historiette. Quand personne n’y croit, vous croyez ce que vous dit votre voisin et vous avez tendance à croire ce qui se raconte sur les réseaux sociaux. Une censure trop évidente est moins efficace à supposer qu’elle l’ait jamais été.

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