• L’aura intacte de Djamila Bouhired, héroïne de l’indépendance algérienne

     

    ARCHIVES JEUNE AFRIQUE / REA

     

     

    L’aura intacte de Djamila Bouhired, héroïne de l’indépendance algérienne

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    En Algérie, les manifestations du printemps 2019 ont vu ressurgir une figure aussi discrète qu’emblématique : Djamila Bouhired. L’octogénaire a rompu un long silence pour apporter son soutien aux jeunes Algériens.

     

     

    Comment rester en vie quand on a été condamnée à mort à 22 ans et graciée à 24 ? Comment écrire son histoire quand votre nom est le titre d’un livre ? Comment se faire sa place quand un film vous a élevée au rang d’héroïne éternelle dans tout le monde arabe ? Comment porter son prénom quand il est devenu l’hommage de toute une génération ? Comment former une famille quand votre mari, le père de vos deux enfants, a disparu du jour au lendemain sans un mot d’explication pour réapparaître sept ans plus tard ? Comment ressusciter quand on vous a rendu un hommage national après l’annonce erronée de votre mort ? Comment faire deux révolutions en une seule vie ? Et, pour finir, comment échapper au mythe Djamila quand on écrit sur Mme Bouhired ?

     

    Le nom de Djamila Bouhired résume à lui seul la guerre d’Algérie, la bataille d’Alger, la torture, l’infamie, l’héroïsme, la liberté.

     

    Il est des êtres dont le personnage est plus fort que la personne, des individus entrés dans l’Histoire avant même de devenir adultes. C’est très rare, c’est le cas de Djamila Bouhired, dont le nom résume à lui seul la guerre d’Algérie, la bataille d’Alger, la torture, l’infamie, l’héroïsme, la liberté. La vie, qui est injuste, n’a jamais distribué également ses bienfaits ni ses épreuves : certains en ont trop, sans avoir rien demandé.

    Un quart de la vie de Djamila Bouhired suffirait à remplir bien d’autres existences. Peut-être eût-elle préféré. On ne lui a pas demandé. De toute façon, elle n’a jamais été du genre à se confier ni à raconter ses souvenirs. Djamila Bouhired est en béton armé, sans faille et sans reproche. Elle est, au sens propre, une légende vivante, une énigme.

     

     

     
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    Le symbole des femmes algériennes en lutte

    Djamila Bouhired naît en 1935 dans la classe moyenne d’Alger. À 19 ans, elle rejoint le Front de libération nationale (FLN). Elle est membre du “réseau bombes” et assistante personnelle de Yacef Saadi, chef de la Zone autonome d'Alger pendant la bataille d'Alger. Elle dépose une bombe qui n'explosera finalement pas dans le hall du paquebot Maurétania, car le branchement avait été mal effectué. Elle recrute des femmes combattantes au sein du FLN, parmi lesquelles Djamila Bouazza ou encore Zoulikha.

    Pour la politologue et sociologue Feriel Lalami Fates, "elle a été vraiment le symbole d’une part de la lutte du peuple algérien, mais plus encore des femmes algériennes. Elles sont à peu près 11 000 [combattantes]. Mais ce qui n’est pas comptabilisé, c’est tout l’engagement silencieux, secret, discret, des femmes qui ont caché des armes, qui ont nourri des combattants… et qui ont fait qu’il y a eu un tissu social favorable."

    À 21 ans, Djamila est capturée. Elle porte des documents du FLN prouvant qu'elle est en contact avec le FLN. Les services spéciaux la torturent. Inculpée pour sa participation aux attentats, elle est condamnée à mort. À l’annonce du verdict, elle éclate de rire. 

    L'égérie culturelle 

    Sa condamnation provoque une campagne de soutien menée par son avocat Jacques Vergès, qui publie un manifeste intitulé Pour Djamila Bouhired, publié aux éditions de Minuit. Ce texte alerte l'opinion publique internationale sur les tortures infligées par l'armée aux combattants algériens. "À partir de son cas, il y a eu une médiatisation qui a dépassé les frontières de l’Algérie et de la France de manière extraordinaire", poursuit Feriel Lalami Fates. 

    Elle a 23 ans quand sa vie est adaptée au cinéma par le cinéaste égyptien Youssef Chahine, dans Djamila l’Algérienne, en 1958. 

    "Quand les Égyptiens ont vu ce film, ils sont allés manifester devant l’ambassade française pour l’indépendance de l’Algérie."

    Soutenue par une intense campagne internationale, Djamila est finalement graciée et libérée en 1962. 

    La diva libanaise Fairouz lui dédie alors une chanson qui clame son amitié, sa solidarité : “Lettre à Djamila Bouhired”. 

    Après sa libération, elle travaille avec Jacques Vergès sur Révolution africaine, un magazine des révolutions nationalistes africaines. Elle a 30 ans quand ils se marient. Ils auront ensemble deux enfants.

    "Le régime lui-même en a fait une icône, dans la mesure où, après l’indépendance, elle a sillonné beaucoup de pays pour que la jeune république algérienne soit connue, sous un visage agréable", analyse Feriel Lalami Fates.

    Djamila devient un prénom populaire dans le monde arabo-musulman. "Il y avait les petites filles nommées Houria, ça veut dire “liberté”, et les petites Djamila, les parents dont c’était un modèle absolu de lutte, de dignité et de liberté." 

    Le trait d'union pour la démocratie algérienne

    Le 1er mars 2019, à 84 ans, elle manifeste pour protester contre la candidature d'Abdelaziz Bouteflika à la prochaine élection présidentielle. 

    "Elle était là, et elle a été acclamée. C’est le soutien. C’est comme une chaîne entre la période de lutte pour l’indépendance et la construction de la démocratie en Algérie. C’est la continuité d’un projet de liberté. C’est très important que des gens qui ont participé à la libération du pays soient là pour dire : “Le travail n’est pas fini !” conclut Feriel Lalami Fates. 

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