• Mauvais diagnostics, manque de prudence : ce que contient le rapport sur la contamination du porte-avions Charles-de-Gaulle

    Plus d'un millier de marins du porte-avions Charles-de-Gaulle ont été testés positifs au Covid-19.
    Plus d'un millier de marins du porte-avions Charles-de-Gaulle ont été testés positifs au Covid-19. - AFP.
    Armée
    Marianne

    Mauvais diagnostics, manque de prudence : ce que contient le rapport sur la contamination du porte-avions Charles-de-Gaulle

    Escales en Sicile, en Espagne, au Portugal : le porte-avions avait certainement accueilli le virus avant de passer trois jours à Brest, selon l'enquête épidémiologique du service de santé des armées. L'enquête de commandement pointe aussi des erreurs dans la transmission de l'information, et l'organisation d'un concert dans un hangar à avions...

    Les termes sont mesurés, mais derrière le ton policé du rapport officiel, on sent poindre le reproche, pour rester dans l'euphémisme. « Dans la gestion de cette crise à bord du porte-avions, il y a bien eu des erreurs mais les inspections n'ont pas constaté de faute » a déclaré la ministre des Armées, Florence Parly, lors de son audition au Sénat devant la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées le 12 mai. L'enquête épidémiologique diligentée par la ministre, que Marianne a pu consulter, confirme que des comportements pour le moins légers ont facilité la diffusion du coronavirus à bord du porte-avions Charles-de-Gaulle (CDG).

    1.060 marins testés positifs, sur 1.720, soit 60% de l'équipage, 24 hospitalisés dont 10 sous oxygène, et un évacué par hélicoptère et intubé, désormais sorti d'affaire mais toujours hospitalisé, il y avait en effet de quoi se pencher sérieusement sur ce qui s'était passé. Pas très étonnant quand on imagine la promiscuité qui règne sur cet énorme immeuble flottant, où l'activité et les échanges avec la terre sont permanents, un peu plus quand on considère qu'il a fallu attendre que le nombre de patients grimpe en flèche, brusquement, entre le 5 et le 6 avril, deux semaines après que le bateau a fait escale à Brest du vendredi 13 mars au lundi 16 au matin. Que s'était-il passé entre-temps ? Le virus était-il arrivé sur le porte-avions lors de cette fameuse escale, ou avant ? Pourquoi la mission n'a-t-elle pas été interrompue plus tôt, et pourquoi la ministre n'a-t-elle, ainsi que le Chef d'Etat-Major des Armées, n'a été prévenue de la situation que le 7 avril ?

    Contamination à Brest

    Selon les résultats de l'enquête épidémiologique, le Covid était déjà présent à bord à Brest, mais cette escale a constitué un deuxième « point d'entrée ». Le CDG a quitté Toulon le 21 janvier pour participer à l'opération Chamal au Levant du 29 janvier au 21 février, puis a effectué une première escale à Limassol, sur l'île de Chypre, du 21 au 26 février. Mais ce n'est vraisemblablement pas là que le virus aurait pu entrer, puisque les premiers cas ne sont confirmés à Chypre qu'entre le 9 et le 12 mars, soit quinze jours après le passage du bateau. Pas plus qu'à Haifa, en Israël, ou le porte-avions a encore un peu d'avance sur le Covid.En revanche, les escales suivantes sont autant de lieux probables de contamination : Comiso en Sicile, Ibiza et Cadix en Espagne, Porto, Monte Real et Al Cochete, dans la région de Lisbonne, au Portugal, puis Portsmouth et Londres, en Angleterre. A chaque fois que le bateau passe, le virus est déjà là et progresse. Un porte-avions étant une grande plate-forme aéroportuaire flottante, les échanges entre la terre et la mer, avec des personnels des marines françaises et étrangères embarquant et débarquant en permanence, les occasions de transmissions sont multiples. L'enquête épidémiologique n'a pas pu à ce stade déterminer à quel moment et où précisément le Covid est arrivé sur la CDG. En revanche, elle établit une nouvelle « entrée » lors de l'escale de Brest, où les marins ont pu aller visiter leurs familles, même si les visites de ces dernières à bord ont été annulées.

    Dès la mi-février, le service de santé reçoit des consignes et veille à repérer les signes du virus. Par précaution, des masques et du gel hydroalcoolique sont commandés. Puis, 24 heures avant l'annonce du confinement, alors que le bateau est encore à Brest, le commandement prend des mesures : plus de mouvements de personnels, briefings réduits au minimum, plus de rassemblement, mesures de distanciation. Des mesures très efficaces, selon le rapport, et qui ralentissent considérablement la diffusion du virus. Mais qui pèsent sur le moral, et qui détériorent le lien entre la hiérarchie et l'équipage. La hiérarchie est focalisée sur la mission, tandis que l'équipage est abreuvé en permanence par les nouvelles alarmantes des familles, amplifiées par les réseaux sociaux. Ce flux d'informations permanent, ce lien avec les proches censé être bénéfique pour le moral des troupes, a pu aussi avoir un effet fortement anxiogène.

    Confiance excessive

    Par ailleurs, le rapport pointe une confiance excessive du commandement du CDG et du service de santé à bord dans la gestion d'une crise de ce type, renforcé par l'expérience de l'épidémie de H1N1 en 2009, qui avait été très bien contrée. De plus, comme les marins travaillent dans des conditions souvent difficiles, sur le pont, en plein vent et avec des températures basses, que cette population est jeune et en bonne santé, les premiers signes de maladie sont identifiés, de par leurs symptômes, comme des grippes ordinaires. D'autant plus que le nombre de malades n'est pas plus élevé qu'en temps ordinaire.Mais le 30 mars, alors que l'épidémie ne semble pas avoir pris, et que le moral des troupes souffre des mesures strictes qui lui ont été imposées (ce qui a des conséquences sur la mission), ces dernières sont assouplies. Et c'est sans doute à ce moment que la situation dérape : reprise des briefings, des échanges entre cadres et subordonnés, du sport et... organisation d'un concert dans le hangar à avions ! Pour favoriser « la cohésion et l'esprit d'équipage » et où « les mesures de distanciation étaient respectées ». Ce qui devait arriver arrive : le 5 avril, le nombre de consultations à l'infirmerie grimpe en flèche, les mesures de confinement strictes sont rétablies, 85 marins sont mis à l'isolement à l'avant du navire « dans des conditions précaires », ce qui est également mal vécu, mais « la situation est reprise en main dans les 48 heures suivantes », et le même jour, un marin débarqué au Danemark le 30 mars informe le commandement du CDG qu'il a été testé positif.Ce que l'enquête a mis au jour, principalement, c'est un manque de transmission d'informations et de communications à différents échelons de la chaîne de commandement, un excès de confiance de certains échelons, et un manque de pédagogie dans la communication avec les équipages et leurs familles, véritable casse-tête à l'heure des réseaux sociaux et du tout Internet. Avec ce rapport, plus que la question des masques et des tests, virologiques (qui seront utilisés, en plus de la quatorzaine, lors des départs en opérations extérieures) et sérologiques quand ils seront disponibles, il apparaît que Florence Parly et le chef d'état-major des armées veulent surtout... qu'on leur rende compte. Les militaires ont une expression bien à eux : quand en haut, on « ouvre le parapluie », « ça retombe en pluie fine ». Traduction : c'est en bas que ça trinque. Mais cette fois, le bas, c'est plutôt le milieu, et le commandement du groupe aéronaval.

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