Dans la Drôme, l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) achète des terrains pour les transformer en sanctuaire naturel. Leur dernier achat en date – un terrain de 500 hectares - et leur projet « Vercors vie sauvage » défrisent chasseurs, agriculteurs et éleveurs du coin qui organisaient, vendredi 21 août, une manifestation anti-Aspas. Entretien avec Madline Rubin, directrice de l’association.
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Madline Rubin : « Les chasseurs ne sont pas les plus nombreux, mais ce sont les plus bruyants et les plus armés »
Madline Rubin : « Les chasseurs ne sont pas les plus nombreux, mais ce sont les plus bruyants et les plus armés »
Exclu WebVendredi 21 août a lieu une manifestation des chasseurs, agriculteurs et éleveurs de la Drôme contre la récente acquisitions de terrains par l’Aspas pour en faire des réserve de vie sauvage, c’est-à-dire des lieux où la faune et la flore ne seront pas sous gestion humaine. Cette manifestation, est-ce une première ?
Madline Rubin : On a déjà vu des manifestations d’éleveurs, de chasseurs d’agriculteurs contre telle ou telle campagne de notre association mais celle de vendredi, telle qu’elle se présente est directement contre notre ONG dans sa globalité. Comme si le fait pour l’Aspas d’acheter des territoires pour les laisser en libre évolution cristallisait toutes les oppositions de ceux qui se présentent comme les défenseurs de la ruralité. Ça, c’est nouveau. Je ne l’avais jamais vu.
Vous le prenez comment ? Comme une déclaration de guerre ? Eux parle de guerre médiatique…
On le prend comme une atteinte à l’exercice même de notre mission qui est d’intérêt général et d’utilité publique. On le prend comme de la provocation et de l’intimidation. Certes, ça ne serait pas la première fois. À part nous mettre la pression, essayer de nous intimider, nous faire peur, on ne voit pas ce qu’ils cherchent. Mais nous n’avons pas à rougir, pâlir ou trembler de réaliser notre mission au quotidien. Au contraire, nous avons près de 15 000 adhérents, notre association est reconnue d’utilité publique et leur opposition nous renforce dans l’idée que ce que l’on fait a du sens et du poids. Bien sûr la filière ovine est en crise mais ce n’est pas de notre fait et, dans la société, les pratiques des chasseurs sont de plus en plus décriées. Même chose avec l’agriculture dite « conventionnelle » – avec entrants chimiques, produits phytosanitaires. Pleins de citoyens n’en veulent plus. Du coup, l’Aspas et d’autres associations de protection de la nature, nous sommes les boucs émissaires de personnes de plus en plus mal dans leur activité ou leurs loisirs.
Dans un département comme la Drôme vos opposants sont-ils nombreux ?
Les protecteurs de la nature et des animaux ont toujours le sentiment que dans notre département les rapports sont difficiles avec les chasseurs et les agriculteurs. En Sologne, par exemple, nos militants nous disent, c’est horrible mais on pourrait dire ça de presque partout (rires). Les chasseurs en France sont environ un million de pratiquants alors à l’échelle d’un département ce n’est pas énorme. Par contre ce sont les plus bruyants et surtout les plus armés !
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Comment se présente la manifestation ?
La communication des organisateurs fait tout pour donner une bonne image et diffuse des conseils de bonnes pratiques à leurs membres. Des documents précisent de venir avec femmes et filles, sans 4X4, ni tenue de camouflage, sans alcool… Tout un catalogue pour se montrer ce jour tels qu’ils ne sont pas habituellement.
Quelles précautions ont été prises pour éviter que la manifestation ne dégénère ?
La manifestation nous est présentée comme un rendez-vous familial et bon enfant. La gendarmerie dit de ne pas nous inquiéter mais nous ne sommes pas des lapereaux de trois semaines et on sait qu’il peut y avoir des débordements, des violences… La gendarmerie nous certifie qu’elle sera présente mais il est hallucinant que le Préfet de la Drôme ait autorisé un parcours qui passe devant le portail de l’Aspas… On peut craindre le saccage de nos locaux, des menaces etc. On a pris quelques précautions mais encore une fois on n’a pas à avoir peur de mener notre mission donc on refuse d’être terrorisé, enfermé ou de déserter nos locaux ce jour-là.
Pouvez-vous revenir sur votre démarche d’achat de terrain ? Est-ce nouveau pour l’Aspas ?
Ce volet-là de l’action de l’Aspas a été pensé dès l’origine de l’association il y a 40 ans, mais ça fait une dizaine d’années qu’on a eu la volonté de le concrétiser vraiment. Parce que c’est essentiel. C’est en protégeant les milieux qu’on pourra protéger les animaux et c’est donc en devenant propriétaire qu’on peut décider ce qu’on peut faire pour la protection des milieux, pour laisser la nature en libre évolution. L’acquisition foncière nous est apparue comme le meilleur outil de la protection. On achète des terrains en fonction des opportunités. On a une propriété dans les Côtes d’Armor, une autre dans l’Hérault et trois dans la Drôme.
Avez-vous pu déjà constater des évolutions des milieux ?
On a pu constater une évolution favorable sur une dizaine d’années. Au grand Barry dans le Diois (Drôme) par exemple, certaines espèces végétales poussent spontanément, on y voit aussi les arbres pousser, vieillir. Ces arbres donnent leur pleine capacité : capter le CO2, fabriquer de l’oxygène, permettre le gîte et le couvert à des multitudes d’insectes, d’oiseaux, de petits mammifères. Ailleurs, dans l’Hérault, une zone humide permet aux oiseaux migrateurs de se poser en toute tranquillité, où les oiseaux ne sont pas considérés comme du gibier d’eau, ne se font pas déranger et encore moins flinguer. Des caméras-piège révèlent certains mammifères qu’on ne voyait pas avant sur le site : le castor, la loutre, la genette. La nature est résiliente, elle est exubérante de vie et a une capacité énorme à s’épanouir si tant est qu’on lui laisse du temps et de l’espace. Par contre, quand la nature est contrainte par des pratiques pastorales, agricoles ou de sylviculture, on ne voit pas tout ça.
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Les manifestants vous font plusieurs types de critiques : ils insinuent que vous êtes étrangement financé, que l’absence d’entretien de la nature favorise les risques d’incendies et la présence du loup… Que leur répondez-vous ?
Que tout est faux. Ils sous-entendent que notre action c’est du greenwashing de grosses multinationales pétrolières ou autre argent crade. Une manière pour eux d’essayer de jeter le trouble. Pas de chance, il se trouve qu’on est très exigeant sur la provenance de nos fonds. On ne fait pas de compensation, ni de greenwashing. Et on peut aussi leur dire qu’on a déjà attaqué pour diffamation des propos de ce genre.
Quant au risque d’incendie, il existe une réglementation sur les espaces pour les prévenir. Elle s’applique à tout le monde même à l’Aspas et, comme nous ne nous pensons pas au dessus des lois, on appliquera les règles pour prévenir les risques d’incendie. Mais il se trouve que mettre des moutons n’est pas la seule solution, qu’il y a d’autres façons comme des réserves d’eau, des bandes coupe feu et puis les herbivores sauvages font en partie le job de débroussaillage mais ça, ce n’est pas dans la façon de penser des chasseurs et des éleveurs. Dès qu’ils ne sont plus dans la gestion, la maitrise, ils rejettent. Entre eux et nous, c’est vraiment deux visions différentes de la nature qui s’opposent. Pour eux « hors le mouton point de salut » et bien c’est faux.
Et vous ne volez pas des terres aux paysans non plus ?
Et non ! Tous les achats de terrains naturels passent par un organisme qui s’appelle la Safer qui a pour mission de veiller au prix normal du mètre carré pour limiter la flambée des prix. La Safer peut préempter en priorité pour les agriculteurs, pour qu’ils ne soient pas lésés dans leur volonté de s’agrandir etc. Elle surveille donc toutes les ventes de terrains non constructibles et il se trouve qu’elle n’a rien trouvé à redire à notre dossier. Ça n’a pas été le cas d’un autre terrain où nous avions aussi des vues. Il était en vente depuis cinq ans, personnes n’en voulait. On s’est positionné dessus et subitement ça a suscité des vocations d’achat de la part des agriculteurs. La Safer nous a refusé la vente. C’est le jeu. On est déçu mais on accepte ce cadre légal.
Ce qui les énerve sur notre projet actuel « Vercors vie sauvage » c’est qu’il s’agit d’une zone de 500 hectares, donc c’est grand, donc c’était cher. Personne n’arrivait à l’acheter. On a pu l’acquérir. Et comme ce projet nous fait gagner en visibilité, de l’autre bord, l’agressivité monte. Ceux qui se présentent comme nos adversaires tentent de nous freiner. Leur opposition, ça nous motive à accentuer encore nos efforts. Leur manif nous donne encore plus de sens à continuer. On touche du doigt quelque chose de juste et on a de plus en plus de personnes derrière nous, qui nous soutiennent, le nombre d’adhérents est en constante progression. Ce qu’on fait a du sens et on estime qu’on n’a à rendre de comptes qu’à nos membres. N’en déplaise aux prétendus défenseurs de la ruralité. ●
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