Le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, sera jugé à partir de jeudi à Bobigny, aux côtés de cinq de ses proches, pour les incidents ayant émaillé la perquisition au siège de son parti en octobre 2018.
Celle-ci avait été réalisée dans le cadre de deux enquêtes préliminaires : sur les comptes de la campagne présidentielle de 2017 et sur les conditions d'emploi d'assistants d'eurodéputés de LFI, confiées depuis à des juges d'instruction. Pour rappel, l'Insoumis en chef s'était opposé avec virulence à ce qui serait, selon lui, une «énorme opération de police politique» à son encontre. Aujourd'hui, il persiste et signe en dénonçant «un procès politique» mené par une justice «aux ordres».
Philippe Moreau-Chevrolet, professeur de communication politique à Sciences Po Paris, apporte son éclairage sur ce procès qui s'annonce électrique et ultramédiatisé.
L'invocation d'un «procès politique» est-elle crédible à vos yeux ?
Non. La formule a été tellement rabâchée que les Français n'y croient plus. Ces derniers sont sensibles au complotisme, à une exception près : lorsque la conspiration est invoquée par des politiques dans une affaire judiciaire ou un procès. Ils ne croient pas du tout au fait qu'ils puissent être victimes d'injustice, au contraire ils pensent qu'ils font tout pour se soustraire à la justice, dans une logique d'impunité.
Jean-Luc Mélenchon a perdu beaucoup de points de popularité avec l'affaire de la perquisition, car il est devenu un politique comme un autre : celui qui refuse la justice, qui refuse la police, qui veut des privilèges. Dernièrement, il a encore brouillé davantage son image en soutenant Patrick Balkany [incarcéré depuis vendredi dernier pour fraude fiscale, ndlr]. Au fond, il veut des privilèges. Quand il dit «ma personne est sacrée», c'est en réalité tout ce que les Français rejettent dans la politique.
Mélenchon pensait que les Français le suivraient dans son affrontement avec les juges, mais ça ne marche pas comme ça. C'est une erreur de stratégie majeure.
Sa déroute aux européennes (6,3%) après un bon score à la présidentielle (19,6%) s'explique-t-il par ce fait d'armes ?
Son échec en mai dernier tient à trois choses. D'abord, LFI a autant de leaders que de députés, il y a donc un éclatement du parti, qui n'arrive pas à faire comprendre son message. De plus, il y a une perte de crédibilité, due à la gestion calamiteuse des affaires visant Mélenchon, mais aussi le député Alexis Corbière et [son épouse] Raquel Garrido, qui ont aussi invoqué le complot. Enfin, LFI peine à renouveler son approche intellectuelle, et quelqu'un comme Greta Thunberg [la jeune militante suédoise] apparaît aujourd'hui beaucoup plus radical et subversif qu'un Mélenchon qui gravite dans les sphères politiques depuis trente ans.
Mélenchon est un ex qui encombre son camp: il peut l'empêcher de se recomposer, jusqu'à le faire perdre.Le politologue Philippe Moreau-Chevrolet
Dès lors, la présence de Mélenchon au sein de LFI est-elle contre-productive ?
Comme Sarkozy à droite et Hollande au PS, Jean-Luc Mélenchon est un ex qui encombre : il n'est pas en mesure de faire gagner ou évoluer son camp, mais il peut toujours peser sur lui, l'empêcher de se recomposer, jusqu'à finalement l'étouffer et le faire perdre. Il a encore une capacité de nuisance très forte, et n'hésiterait pas à torpiller la concurrence d'un éventuel autre leader. A l'image de Hollande qui a empêché Olivier Faure [actuel patron socialiste] de monter, ou de Sarkozy qui a dynamité tout leader qui aurait pu surgir à droite.
Reste que les leaders potentiels ne manquent pas au sein de LFI. Quelqu'un comme le député François Ruffin a montré qu'il était capable de construire du collectif, de tenir un langage radical mais crédible, tout en pédagogie et en transparence. Côté société civile, l'économiste Thomas Piketty peut aussi revendiquer une sorte d'ascendant intellectuel.
A la décharge de Mélenchon, il faut dire que son procès arrange bien l'exécutif...
Il y a deux façons de voir les choses. Soit on estime que les juges font seulement leur travail, affaire politique ou non, et c'est parce qu'il n'y a justement pas de «justice aux ordres» que Richard Ferrand [président de l'Assemblée nationale et fidèle de Macron] a été mis en examen. Soit on met en avant que beaucoup de leaders d'opposition sont visés par des procès ou des enquêtes : Mélenchon, Marine Le Pen, mais aussi François Fillon, dont le procès aura lieu juste avant les municipales – ce qui arrange bien le camp Macron évidemment. Finalement, le procès de Jean-Luc Mélenchon donne du grain à moudre à ceux qui veulent croire au complot. Il nourrit le complotisme partisan. Ce à quoi les Français n'adhèrent pas ou peu.