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Jacques Chirac, miroir des contradictions françaises
Jacques Chirac, miroir des contradictions françaises
Éditorial
Editorial. Au gré d’un parcours politique d’une longévité exceptionnelle, Jacques Chirac aura incarné les paradoxes d’un pays bousculé par le passage d’un siècle à l’autre.
Editorial du « Monde ». Avec la mort de Jacques Chirac, c’est toute une époque qui s’efface, un pan de l’histoire de France qui disparaît : cette France de la guerre et de l’après-guerre, du gaullisme triomphant et finissant, de la décolonisation et des « trente glorieuses », de l’alternance et des cohabitations, du chômage de masse et de la mondialisation, de l’aventure européenne et de son enlisement. Cette France, aussi, qui était le paradis de la politique, avant d’en devenir le purgatoire.
De cette France-là, enthousiaste et tourmentée, ambitieuse et craintive, paradoxale en diable, Jacques Chirac aura été le miroir fidèle, si souvent brocardé et parfois adulé, effaçant les échecs vertigineux par d’improbables résurrections, changeant mille fois de masque au gré des circonstances, mais toujours porté, dans sa quête du pouvoir, par une inaltérable confiance dans son destin.
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Quel Chirac retiendra-t-on ? Ils furent si nombreux ! Le « bulldozer » du président Pompidou, son mentor, qui conquiert la Corrèze en 1967 et y sera réélu à huit reprises. Le jeune audacieux qui rompt en 1974 avec les barons du gaullisme, soutient Giscard d’Estaing et y gagne ses galons de premier ministre. Le conquérant de la Mairie de Paris, où il régnera dix-huit ans. Le candidat à la présidentielle de 1981, qui fait chuter Giscard et s’empare du leadership de la droite pour un quart de siècle. Le premier ministre de 1986, cohabitant avec le président Mitterrand et impitoyablement battu par celui-ci deux ans plus tard. Le vainqueur des législatives en 1993, aussitôt éclipsé par celui qu’il a propulsé à Matignon, son ami Edouard Balladur, que, contre toute attente, il écartera de sa route en 1995 pour accéder, enfin, à l’Elysée.
La Corrèze et le Zambèze
On n’oublie pas non plus l’auteur de cette invraisemblable dissolution de l’Assemblée nationale, en 1997, qui lui impose cinq ans de cohabitation avec Lionel Jospin. Ni le miraculé de 2002, opposé au second tour au chef de l’extrême droite et plébiscité par 80 % des Français. Ni, ensuite, l’homme qui sut dire non avec panache à la guerre américaine en Irak, ou celui qui perdit piteusement le référendum sur la Constitution européenne. Et pas davantage – médiocre épilogue – cet ancien président condamné en 2011 à deux ans de prison avec sursis, pour solde de tout compte des troubles affaires de la Ville de Paris.
Quelle aventure, en effet ! Quel parcours, successivement pompidolien, néogaulliste, travailliste à la française, libéral pur et dur, procureur de la « fracture sociale » et, pour finir, radical à l’ancienne, d’une prudence paysanne, inquiet de bousculer un pays rétif, soucieux d’en préserver les fragiles équilibres. Mais, au-delà de ces postures de circonstance, Jacques Chirac ne serait pas resté pendant un quart de siècle le leader de la droite française, il ne serait pas demeuré si longtemps au premier plan de la scène nationale, il n’aurait pas effectué deux mandats à l’Elysée sans un indéniable charisme, un art très sûr de la guerre politique, une énergie sans pareille, une intime connaissance de la France, une chaleureuse compréhension des Français. Il y ajoutait une ouverture peu commune au monde, aux civilisations d’Asie, aux mutations de l’Afrique, aux enjeux de la planète, ou encore aux arts premiers auxquels il a consacré un musée sans équivalent. Champion de France et citoyen du monde, en quelque sorte, réunissant dans une même curiosité, dans un même appétit, la Corrèze et le Zambèze.
Sans doute fut-il trop rarement visionnaire, comme lorsqu’il sonna le tocsin contre les menaces du changement climatique, au Sommet de la Terre en 2002. Sans doute fut-il, moins encore, bâtisseur de l’avenir, exception faite de l’instauration de l’armée de métier, mettant un terme au séculaire service national. Sans doute, au début des années 2000, ne prépara-t-il pas assez solidement la France, son économie et son industrie à affronter les défis de la mondialisation. A ce titre, il ne peut guère rivaliser avec ses prédécesseurs et leurs œuvres. Mais sa longévité, sa ténacité et sa personnalité en ont fait le passeur d’un siècle à l’autre. Jacques Chirac, un destin au reflet d’une époque.
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Tags : Jacques Chirac, décès, mort, miroir des contradictions françaises, parcours politique, longévité exceptionnelle, « bulldozer », président Pompidou, charisme
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