À Bratislava, il n’est pas rare de croiser le visage de Jan Kuciak, peint sur un mur, affiché sur des autocollants, badgé sur le revers d’une veste. Le journaliste tué par balles chez lui, le 21 février 2018, à l’âge de 27 ans, en même temps que sa compagne Martina Kusnirova, est devenu une icône. La jeunesse de Slovaquie entend perpétuer son combat contre la corruption.

Le double assassinat a horrifié le pays, qui aura les yeux rivés sur le procès qui débute ce jeudi 19 décembre à Pezinok, près de la capitale. Sur le banc des accusés, quatre personnes encourent la perpétuité : le tueur à gage, son chauffeur, la femme qui a monté l’opération, mais surtout son commanditaire présumé Marian Kocner. Ce dernier n’aurait pas supporté les articles de Kuciak narrant les liens entre la pègre et les politiciens.

Le procès d’une partie de l’État

Mi-businessman, mi-caïd, Kocner est cité dans toutes les grandes affaires de corruption. Il vivait en toute impunité, dans une résidence de luxe avec pour voisin de palier Robert Fico, l’homme fort de la Slovaquie depuis plus d’une décennie. Les Slovaques ont découvert sidérés que des procureurs étaient sous sa coupe, comme des hauts gradés de la police et même la secrétaire d’État à la Justice. Le procès est donc celui d’une partie de l’État, gangrené par la mafia.

Marian Kocner, accusé d’être le commanditaire du meurtre du journaliste Jan Kuciak. | DR

Le réveil de la société civile

Après le choc suscité par le double assassinat, journalistes et société civile se sont réveillés, comme en témoigne le succès fulgurant du journal indépendant Denník N. Le mouvement citoyen contre la corruption a emporté au printemps 2018 Robert Fico, alors Premier ministre, son ministre de l’Intérieur, le chef de la police… Il a contribué à donner les clés des mairies de Bratislava et Kosice à des candidats progressistes. En juin dernier, Zuzana Caputova, une avocate environnementaliste, a été élue chef de l’État pour ramener  justice, intégrité et honnêteté .

Dans deux mois, des élections législatives diront si la vieille et très décriée classe politique sera balayée ou bien remise en selle…  Nous sommes à un moment critique , prévient Daniel Lipsic, l’avocat de la famille Kuciak, qui figurait sur la liste des personnes à éliminer de Kocner. Lipsic estime qu’ un changement de gouvernement est redouté par ceux qui, toujours au pouvoir, ont été contraints par la mobilisation populaire de nettoyer la police et la justice ».