Dans l'équation des primaires du Parti démocrate, Michael Bloomberg est encore un facteur inconnu. Alors que se profile ce mercredi soir un nouveau débat en prévision du caucus du Nevada, qui se tiendra samedi 22 février, et pour lequel il s’est finalement qualifié bien qu’il ne participe pas au scrutin, de nombreuses interrogations se posent encore sur la candidature du milliardaire de 78 ans.
À l’heure actuelle, la candidature de l'ancien maire de New York se porte bien. Il pointe en troisième position de la moyenne des sondages nationaux établie par RealClearPolitics. Mieux, il arrive même en deuxième place d'un nouveau sondage NPR/PBS/Marist publié mardi.
Avec 19% des intentions de vote, Michael Bloomberg devance par exemple l'ancien vice-président Joe Biden (15%), en nette perte de vitesse après avoir longtemps caracolé en tête des sondages. Il reste cependant à distance du sénateur indépendant Bernie Sanders qui, avec 31% d’intentions de vote, fait plus que jamais figure de favori dans la course à l’investiture.
"Très très très riche"
Pour autant, et malgré sa candidature annoncée tardivement, Michael Bloomberg est loin d’être un novice. "Déjà en 2008, 2012 et 2016 son nom était annoncé", souligne auprès de BFMTV.com Jean-Éric Branaa, maître de conférences à l’université Paris-2, qui rappelle également qu’en mars dernier, "Bloomberg était déjà candidat avant de renoncer, puis de revenir en novembre comme outsider. Il est dans le paysage depuis longtemps, il y a eu des centaines d’articles sur lui."
Contrairement à ses adversaires démocrates, Michael Bloomberg a donc décidé de faire l’impasse sur les quatre premiers scrutins (Iowa, New-Hampshire, Nevada et Caroline du sud, ndlr), et d’articuler sa candidature en parallèle, axée autour d’une puissante campagne de communication financée par sa propre fortune. Si son retard au niveau des délégués est pour le moment inconséquent, son manque de notoriété auprès de l’électorat a semble-t-il été compensé par son investissement de 340 millions de dollars en spots publicitaires.
"Il n’est pas riche, il est très très très riche. Il a tellement assommé avec son argent que depuis le vote du New Hampshire, on ne parle plus des autres candidats mais de Bloomberg. Il a une couverture médiatique énorme", souligne encore Jean-Éric Branaa.
La "normalisation" de Bloomberg
Une stratégie qui semble porter ses fruits, explique de son côté Lauric Henneton, maître de conférence à l’Université Versailles Saint-Quentin et auteur de l’Atlas historique des États-Unis. Pour lui, il faut analyser dans le détail les sondages afin de comprendre de quelle manière l’hypothèse Bloomberg a, ces dernières semaines, pris du poids.
"Ce que l’on ne voit pas, c’est la normalisation de Bloomberg. Au début, il souffrait d’un déficit de notoriété et les sondés ne le connaissaient pas. Au fur et à mesure, cela s’est estompé, ça a basculé et son taux d’opinion favorable est maintenant égal à celui des autres. Cela s’est estompé avec la publicité et il devient une option", analyse-t-il.
La politique ayant horreur du vide, l’hypothèse Bloomberg a également pris corps en raison de l’absence d’une figure forte côté démocrate à l'issue des premiers scrutins.
"Bernie Sanders est fort, mais il fait peur. Joe Bien dévisse et laisse un vide. Klobuchar et Buttigieg arrivent à le combler mais restent encore bas. Michael Bloomberg n’est pas forcément la bonne solution pour le parti, mais il devient une hypothèse forte", souligne encore Lauric Henneton.
Les bonnes cases des valeurs démocrates
Ainsi, le débat de ce mercredi est déjà un rendez-vous capital pour Michael Bloomberg. Et sa présence ne semble pas plaire à ses concurrents, qui l’accusent d’avoir "acheté" sa place dans la course à la présidentielle.
"J'ai quelque chose à dire à Bloomberg: les Américains en ont assez que des milliardaires achètent les élections", a lancé ce week-end le sénateur indépendant Bernie Sanders. "C'est une honte que Mike Bloomberg puisse acheter sa place dans les débats", a renchéri mardi la sénatrice progressiste Elizabeth Warren, en le qualifiant de "milliardaire égocentrique".
Il faut dire que les règles du débat ont été modifiées. Plus besoin désormais d'afficher le soutien de milliers de petits donateurs, seuls les sondages et le nombre de délégués déjà décrochés par les candidats comptent, ce qui lui a finalement ouvert la porte.
Pourtant, de par son parcours atypique, Michael Bloomberg a quitté les Républicains pour devenir indépendant, puis adhérer au Parti démocrate, le septuagénaire "coche les bonnes cases", souligne Jean-Éric Branaa.
"Il est milliardaire, mais il va mettre en avant qu’il a réussi à quitter les Républicains avant leur mauvais virage. Il va également mettre en avant son bilan à New York, il a apporté une grande ville aux démocrates. Récemment, il s’est positionné contre les armes et s’est engagé pour l’environnement. Il a su sentir le vent des valeurs démocrates actuelles et il se positionne bien", estime-t-il.
Fantômes du passé
Un rendez-vous d’autant plus important que, selon Lauric Henneton, "Michael Bloomberg ne fera pas un bon débat."
"Ce n’est pas un très grand orateur et ce n’est pas Monsieur Charisme. Il est très technocrate, il est très froid. Il n’est pas empathique comme peut l’être Sanders, il n’arrive pas à enflammer l’électorat. Il va prendre des coups et si sa prestation est mauvaise ce ne sera pas si grave."
En réalité, le terrain semble déjà miné pour Michael Bloomberg, qui a prévu de s’excuser une nouvelle fois pour des fantômes du passé. Du temps de son mandat à New York, il avait autorisé une politique d’interpellations et de fouilles arbitraires d’individus principalement noirs et hispaniques par la police. En novembre dernier déjà, il avait publiquement reconnu ses torts de l’époque dans une église majoritairement noire de Brooklyn. Sur Twitter, Elizabeth Warren a cette semaine publié un article à ce sujet.
"Elizabeth Warren est contre les milliardaires, c’est normal qu’elle tweete beaucoup dessus. Elle est choquée qu’on puisse passer au-dessus du processus démocratique et elle devrait être très virulente ce soir, tout comme Bernie Sanders qui a un positionnement idéologique fort à ce sujet", explique Jean-Éric Branaa.
Mike Bloomberg approved and oversaw a program that surveilled and tracked Muslim communities in mosques, restaurants, and even college campuses—leaving permanent damage. He refuses to apologize for it. https://www.huffpost.com/entry/michael-bloomberg-muslim-surveillance-nypd_n_5df40e1de4b03aed50ee4685 …
Bloomberg’s Surveillance Of Muslims Sets Dangerous Precedent For His Presidential Run
"How would he distinguish himself from Trump if he has some of these similar leanings?” one Muslim New Yorker wanted to know.
huffpost.com"Il sait éteindre l’incendie. Il est défendu par des maires de villes moyennes et des pasteurs noirs. Il envoie des gens pour neutraliser cela", souligne encore Lauric Henneton.
Le pari du Super Tuesday
Bien qu’il participe au débat en marge du scrutin du Nevada, Michael Bloomberg n’entrera dans la course électorale que le 3 mars prochain, au moment du Super Tuesday, rendez-vous incontournable au cours duquel 16 États votent de manière simultanée.
Une décision "très surprenante" pour Jean-Éric Branaa, mais qui selon Lauric Henneton pourrait se résumer à "un pari risqué mais un pari gagnant."
Pour ce dernier, ne pas avoir participé aux premiers votes "lui a permis de ne pas tomber dans les écueils, et de toute façon, c’était trop tard pour s’occuper de l’Iowa qui comporte 99 comtés. A l’heure actuelle, seuls 155 délégués ont été nommés, soit autant que le seul État de l’Illinois en mars prochain. Il se préserve des réalités du quotidien et sa stratégie est payante, on ne parle que de lui, il a l’attention du cycle médiatique", conclut-il.
D'après les sondages réalisés en prévision de ce jour décisif, Michael Bloomberg se trouve, à l'heure actuelle, sur le podium des chacun des États qui devront se décider le 3 mars prochain.