• Guerre commerciale États-Unis /Chine : les secrets de la stratégie de Pékin

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    Guerre commerciale États-Unis /Chine : les secrets de la stratégie de Pékin

     

    Atlantico :  Si l'on parvient à distinguer assez clairement la stratégie de Washington dans la guerre commerciale sino-américaine, celle de Pékin reste pour le moins obscure. Comme la Chineconsidère-t-elle mène-t-elle cette guerre commerciale ? 

    Antoine Brunet : Il faut d'abord bien comprendre ceci : Trump et son principal conseiller commercial, Navarro, ont réalisé que la montée en puissance de la Chine résultait de la stratégie mercantiliste qu'elle a mise en oeuvre avec succès en vue d'obtenir des excédents commerciaux massifs et renouvelés. Une stratégie amorcée dès les années 1990 qui s'est accentuée en 2001 (date à laquelle la Chine arrache son adhésion à l'OMC) et qui a marqué un  point énorme en 2008 (date à laquelle la Chine a indirectement infligée la Grande Récession aux pays occidentaux). 

    En enclenchant en mars 2018 la guerre commerciale avec la Chine, Trump vise ni plus ni moins qu'à enrayer cette stratégie mercantiliste de la Chine. On se trouve depuis lors en présence de deux projets radicalement opposés : Washington veut réduire les excédents commerciaux de la Chine mais Pékin entend à l'évidence lui résister et maintenir un excédent colossal. Quand Washington installe des droits de douane sur les produits made in China, Pékin réagit en imposant à son tour des droits de douane sur les produits made in USA. 

    Mais comme les exportations américaines vers la Chine sont quatre fois moindres que les exportations chinoises vers les Etats Unis, l'impact des droits de douane américains sur les exportations chinoises risque de devenir plus important que celui des droits de douane chinois sur les exportations américaines. C'est pourquoi la Chine recourt à deux rétorsions supplémentaires contre les Etats Unis : elle met en place des quotas d'importation drastiques sur les produits agricoles américains et elle recourt à une dévaluation délibérée du yuan contre dollar. Ainsi, le dollar qui était coté à 6,30 yuan en mars 2018 (avant que Trump n'ouvre les hostilités commerciale) se cote le 5 août 2019 à 7,05 yuan, soit une dépréciation de 12% du yuan contre dollar qui est aussi une dépréciation de 12 % du yuan contre la plupart des autres monnaies (l'euro en particulier). Or cette énorme dévaluation du yuan intervient alors qu'initialement, le yuan était  déjà considérablement sous-évalué : les statisticiens du FMI considèrent que le cours dollar/yuan devrait se situer en 2019 à 3,50 yuan. Le yuan, qui était donc déjà sous-évalué de 44,5% en mars 2018, l'est maintenant de 50,5%. Ce qui est absolument inacceptable pour les autres pays.

    David Dollar :  Il y a trois composantes à la stratégie chinoise dans la guerre commerciale qui l’oppose aux Etats-Unis. Premièrement, la Chine entend ouvrir graduellement son économie, une stratégie que le pays suit de près et à laquelle il se tiendra. Deuxièmement, Pékin préfère entretenir et maintenir une bonne entente avec Washington sur le plan économique. En ce sens, le pays est donc prêt à faire des concessions. En revanche, il ne tolérera pas de campagne d’intimidation, qu’elle émane des États-Unis ou de n’importe quel autre pays. Ainsi, si Washington impose de lourdes sanctions économiques à la Chine, le pays lui renverra la pareille. 

    Moins démonstratif que Donald Trump, Xi Jinping a pourtant des armes politiques et économiques pour rivaliser avec les Etats-Unis, notamment la maîtrise de sa monnaie. En quoi la Chine est-elle, malgré les efforts de communication de Donald Trump, mieux armée et plus agressive dans cette guerre commerciale et monétaire ?

    Antoine Brunet : Tout d'abord, au vu du comportement récent de Pékin, les économistes traditionnels devraient enfin admettre ce qu'ils ont trop longtemps nié : sous-évaluer sa monnaie comme la Chine le fait à grande échelle depuis 1994, c'est complètement analogue à pratiquer des protections douanières à grande échelle. En compensant des droits de douane par une dévaluation délibérée du yuan, la Chine ne fait que confirmer ce que nous avons toujours affirmé : il était franchement débile, au nom du libre-échange et de l'OMC, de s'interdire des protections douanières contre le made in China puisque l'énorme sous-évaluation du yuan pratiquée depuis 25 ans par la Chine équivalait à une énorme protection douanière de la Chine face au made in USA ou au made in  Europe.

    La Chine en réalité va  jusqu'à surcompenser les sanctions douanières par sa manipulation du cours du yuan. C'est cela qui explique qu'en dépit des droits de douane institués par Trump, l'excédent commercial chinois non seulement ne recule pas mais rebondit : au cours des 6 premiers mois de 2019, l'excédent commercial annualisé fluctue autour de 500 Milliards de dollars.

    L'interrogation concerne l'aisance avec laquelle Pékin réussit à manipuler le cours du yuan. C'est pourtant très simple: pour porter en deux séances (du jeudi 1er aout au lundi 5 aout) le dollar/yuan de 6,90 à 7,05, il  a suffi à la banque centrale chinoise de se porter très fortement vendeuse de yuan (et acheteuse de dollars) jusqu'à ce que le yuan soit descendu à 7,05 pour 1 dollar. Dans un même mouvement, la banque centrale chinoise a donc à la fois déprécié le yuan et accumulé des dollars. Double avantage pour elle.

    On pourrait en conclure que la Chine est imperméable à toute réaction des Etats Unis. Cela n'est pas le cas. En répondant par deux coups à chaque nouveau coup porté par les Etats Unis, la Chine s'expose à ce que les Etats Unis en viennent à l'arme suprême, celle consistant à mettre en place des quotas d'importation drastiques à l'encontre des produits made in China : puisque la Chine s'obstine à conserver une sur-compétitivité qui est déstabilisatrice pour les Etats Unis (et pour les autres pays aussi), il faudra que les Etats Unis en arrivent à interdire l'entrée des produits made in China sur le territoire américain.

    David Dollar : A mon sens, la Chine est avantagée dans cette guerre commerciale puisque sa stratégie est claire et que le pays est prêt à accepter  les conséquences de son affrontement économique avec Washington. Par là même, des conséquences néfastes sur l’économie chinoise n’empêcheront pas Pékin de maintenir ses positions ni de rendre la pareille aux États-Unies. Pour autant, je n’ai pas l’impression que la Chine soit si agressive qu’on voudrait le faire croire dans la guerre commerciale qui l’oppose aux Etats-Unis. Par exemple, accepter la dévaluation du Yuan, est une mesure défensive pour Pékin mais aussi un moyen d’envoyer un message clair à Donald Trump. Sans être à l'origine de l'offensive, le pays de la sorte qu'il répondra sans faute à n’importe quelle sanction et mesure économique prise par Washington à son encontre.  En somme : Xi Jinping cherche à faire entendre à Donald Trump que ni sa politique ni le poids économique des États-Unis ne lui font peur. Par ailleurs, il est indéniable que les tensions entre les deux pays deviennent de plus en plus inquiétantes et dangereuses. Face à cette situation, l’administration américaine doit trancher : soit elle continue de faire monter les enchères dans cette guerre commerciale, soit elle accepte de discuter avec Pékin afin de trouver,  sinon un accord, du moins un compromis qui pourrait satisfaire les deux États. 


    L'attitude de Pékin s’inscrit-elle dans une stratégie de puissance plus large que le simple aspect économique ? Jusqu’où les dirigeants chinois seraient-ils prêts à aller ?

    Antoine Brunet : La stratégie de domination commerciale de la Chine est la base essentielle d'une stratégie qui est beaucoup plus large et qui est en réalité multidimensionnelle, une stratégie impérialiste qui vise à évincer les Etats Unis afin de dominer le monde entier.  Sans chercher à être exhaustif, mentionnons ici quelques médiations entre la puissance commerciale à laquelle la Chine refuse de renoncer et sa puissance géopolitique :
    • Grâce au renouvellement d'excédents commerciaux colossaux, la Chine est en mesure de financer la poursuite de sa percée technologique (en recourant à l'espionnage et au hacking des pays concurrents mais aussi à des efforts de recherche par des chercheurs chinois ou par des chercheurs étrangers qu'elle peut rémunérer grassement).
    • Ces progrès technologiques lui permettent d'accentuer encore son industrialisation aux dépens des pays rivaux qui sont de ce fait confrontés à une désindustrialisation supplémentaire. Après l'acier et les aciers spéciaux, la télévision et l'électro-ménager. Après la télévision et l'électro-ménager, les ordinateurs. Après les ordinateurs, les éoliennes et les panneaux solaires. Après les éoliennes et les panneaux solaires, la téléphonie. Après la téléphonie, la robotique et le digital. Après la robotique et le digital, les semi-conducteurs eux-mêmes.....
    • L'énorme source de financement que constituent pour la Chine ses excédents commerciaux renouvelés lui permet aussi de "cornériser" toutes sortes de ressources rares sur la planète. Du fait de sa capacité à surenchérir, la Chine s'approprie aussi bien de nombreuses terres agricoles fertiles (en Afrique, en Amérique Latine et même en France) que des gisements de métaux rares et de terres rares en sorte de pouvoir étrangler, le moment venu, les entreprises occidentales qui produisent encore plus de la moitié de la production de semi-conducteurs mais qui sont dépendantes de leurs approvisionnements en terres rares et en métaux rares.
    • Ses excédents commerciaux renouvelés permettent aussi à la Chine de financer une politique diplomatique très active. Il est désormais évident que l'opération Routes de la Soie qu'elle a amorcée en 2015 vise à ce que la Chine, en finançant à l'étranger des infrastructures pharaoniques, se soumette indirectement des pays entiers. Ainsi, on a déjà vu la Chine, grâce à cette initiative, obtenir une emprise significative aussi bien sur de nombreux pays d'Europe (Europe de l'Est, Grèce, Italie, Portugal) que sur des pays de l'Asie Centrale (Kazakhstan, Pakistan). Mais Pékin ne s'est pas limité aux pays situés sur la trajectoire qui relia, il y a plusieurs siècles, la Chine à l'Europe de l'ouest. Désormais Pékin propose l'opération Routes de la Soie aux pays de l'Asie du sud, aux pays de l'Afrique, aux pays de l'Amérique Latine, tous pays qui ne s'inscrivent en aucune façon sur la trajectoire qui relia la Chine à l'Europe de l'ouest. Ce glissement de la Chine indique qu'elle n'entend pas se limiter à se subordonner l'Europe et l'Asie Centrale mais qu'elle a aussi appétit à se subordonner l'Asie du sud, l'Afrique et l'Amérique Latine.
    • Ses excédents commerciaux renouvelés permettent aussi à la Chine de développer des programmes d'armement et des programmes spatiaux très ambitieux. Ce à quoi elle s'emploie de plus en plus activement.

    On le voit. La guerre commerciale amorcée par Trump contre Pékin relève en réalité d'une question de sécurité nationale pour les Etats Unis. Les autres grands pays devraient aussi se sentir concernés. Laisser la Chine réaliser un excédent commercial de 500 milliards de dollars, c'est en effet s'exposer à ce que la Chine évince non seulement les Etats Unis mais aussi tous les autres grands pays pour les vassaliser tous et leur imposer sa suzeraineté impérialiste.

    David Dollar : L'approche suivant laquelle la Chine envisage, au sens large, les relations économiques est en accord avec la manière dont elle interagie avec les Etats-Unis et le reste du monde. En effet, la Chine veut être perçue comme étant l'une des plus grandes puissances mondiales et elle est prête à coopérer avec les Etats-Unis, l'Europe et le reste du monde si cette coopération se fait sur un pied d'égalité. Or, les pays occidentaux ont encore bien du mal à accepter la Chine en tant que nouvelle puissance mondiale. 

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