• France et Chine ne masquent plus leurs tensions

    France et Chine ne masquent plus leurs tensions

    L’ambassadeur de Chine a été convoqué mardi au Quai d’Orsay. Malgré notre dépendance envers les fournisseurs chinois pour faire face au coronavirus, les relations entre les deux pays sont loin d’être confiantes

    France et Chine ne masquent plus leurs tensions
    © Kak

    La Chine a fait état mercredi d’un déclin du nombre de nouveaux cas confirmés de Covid-19 (46 dont 36 voyageurs arrivant de l’étranger, contre 89 la veille) mais reste préoccupée par le nombre croissant de contaminations dans sa région frontalière avec la Russie. Par ailleurs, le président Macron espère un sommet des cinq membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU. Comme Donald Trump et Boris Johnson, « l​e président (chinois) Xi Jinping m’a confirmé son accord », a-t-il déclaré sur RFI. La réponse de Vladimir Poutine est encore attendue.

    Etonnante situation : au moment où la France compte sur un « pont aérien » avec la Chine – le mot est celui du Premier ministre Edouard Philippe – pour obtenir les masques qui lui font tant défaut, l’ambassadeur de la République populaire de Chine à Paris se voit convoqué au Quai d’Orsay pour se faire, diplomatiquement, remonter les bretelles.

    Mardi soir, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a indiqué que le matin même il avait « fait connaître clairement [sa] désapprobation de certains propos récents à l’ambassadeur », dénonçant « certaines prises de position publiques récentes de représentants de l’ambassade de Chine en France ». En cause, le compte Twitter de cette dernière où le ton est à la polémique, sous prétexte de «rétablir des faits distordus » par « des médias qui se prennent pour des parangons d’impartialité et d’objectivité », « des experts et des politiciens de certains pays occidentaux plus soucieux de calomnier, de stigmatiser et d’attaquer la Chine que de réfléchir aux moyens de contenir l’épidémie chez eux».

    Sur le site de l’ambassade, un anonyme « diplomate chinois en poste à Paris » soutient aussi qu’« en Occident », on a vu « des politiciens revendre à des structures privées les équipements achetés avec l’argent public pour s’enrichir personnellement », ou que « les personnels soignants des Ehpad ont abandonné leurs postes du jour au lendemain, ont déserté collectivement, laissant mourir leurs pensionnaires de faim et de maladie ».

    Mise en scène. Excellent francophone, très politique, l’ambassadeur Lu Shaye est arrivé en France en juillet. Ce diplomate de 55 ans a notamment travaillé pour le comité central du Parti communiste, après avoir été maire adjoint de... Wuhan. Sa convocation au Quai d’Orsay témoigne des tensions latentes entre Paris et Pékin. Il s’agit d’une démarche assez inhabituelle.

    Le dernier ambassadeur ainsi convoqué avait été celui de Turquie, en décembre, au plus fort des tensions entre les présidents Erdogan et Macron. La « désapprobation » exprimée par Jean-Yves Le Drian intervient dans le cadre plus général de la dégradation des relations entre l’Occident et la Chine.

    Et pourtant, le pont aérien se poursuit... Le transporteur Geodis indique ainsi que « depuis le 28 mars, neuf vols » ont déjà eu lieu depuis la Chine avec des masques, et que cinq autres sont prévus dans les prochains jours.

    Interrogée le 29 mars sur France inter, la secrétaire d’Etat aux affaires européennes avait dit publiquement ce qu’on entend très largement dans les coulisses du pouvoir. Amélie de Montchalin accusait la Chine (et la Russie) d’« instrumentaliser » leur solidarité, parlant de « propagande » et « mise en scène de belles images ». Ces propos ont été assez peu appréciés en Chine, où Hua Chunying, porte-parole des Affaires étrangères, réagissait en ces termes directs : « Nous espérons que la personne concernée, par ses paroles et ses actes, fera davantage pour la coopération internationale. »

    Une récente note interne du Quai d’Orsay sur le « jour d’après » décrit la Chine comme le principal problème pour la diplomatie française et occidentale. Il faut « éviter » que « l’après-crise ne permette l’emprise de la Chine sur la mondialisation et la gouvernance mondiale », avertit ce document du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie. Un vétéran de la diplomatie française considère que cette note est « anxiogène » et que « ce n’est pas le moment de dire cela aux Chinois, même s’ils affichent une ambition de suprématie ».

    Emmanuel Macron appelle à la formation d’un «axe indo-pacifique», reprenant un vocable américain. Pékin soupçonne Paris d’être trop aligné sur les Etats-Unis, son principal adversaire stratégique

    Ces textes du Quai d’Orsay sont lus par les Chinois, comme le sont les déclarations du président Macron appelant, comme dans son discours sur la dissuasion du 7 février, à la formation d’un « axe indo-pacifique ». Comme l’« atlantisme » au début de la Guerre froide, on voit apparaître un « indo-pacifisme » sous leadership américain et tourné contre la Chine. Même si Paris se défend de visées antichinoises, il reprend le mot, largement utilisé aux Etats-Unis pour décrire la stratégie de containment de la Chine, « puissance révisionniste ». Un document de du Pentagone cite d’ailleurs la France comme « allié clé » dans la région.

    Pékin n’ignore pas non plus les propos du président français, lorsqu’il justifie ainsi sa politique de rapprochement avec la Russie : « Pousser la Russie loin de l’Europe est une profonde erreur stratégique parce que nous poussons la Russie (...) à s’allier avec d’autres grandes puissances comme la Chine, ce qui ne serait pas du tout notre intérêt », déclarait-il devant les ambassadeurs le 27 août.

    Certes, les échanges au plus haut niveau sont réguliers – Emmanuel Macron s’est rendu deux fois en Chine, comme Xi Jinping en France – mais « les Chinois sont agacés par le double langage du gouvernement français », note un proche du dossier. Ils soupçonnent Paris d’être trop aligné sur les Etats-Unis, leur principal adversaire stratégique.

    Concurrence. L’un des grands dossiers sur la table, mis entre parenthèses par le coronavirus et dans l’attente d’une décision commune de l’UE, est celui de la 5G et de la place du chinois Huawei dans les infrastructures télécoms en Europe. En France, les milieux de la sécurité sont très réservés sur l’implication de l’industriel chinois, partageant (en mode mineur) les craintes américaines. En revanche, les opérateurs sont plus allants, considérant que Huawei fournit la meilleure offre au meilleur prix. Le gouvernement français ne souhaite pas « d’interdiction ciblée et généralisée » à l’encontre de Huawei, comme l’ont fait les Etats-Unis ; il entend néanmoins « protéger le cœur du système » contre le risque chinois.

    Un autre sujet va permettre de tester la relation franco-chinoise : l’annulation de la dette africaine, après l’allocution d’Emmanuel Macron lundi. Alors que cette promesse devrait coûter à la France à peine un milliard d’euros sous forme de « reports » de remboursement, le chef de l’Etat a déclaré, mercredi sur RFI, que la Chine « doit faire un geste important » car elle est un « grand bailleur du continent africain » (144 milliards de 2000 à 2017, selon la Johns-Hopkins University). Fidèle à sa politique, la France veut inscrire la Chine dans une « démarche multilatérale » sans perdre de vue qu’« en Afrique, on est concurrent », selon un proche du dossier.

    La prise de conscience des Européens d’une trop grande dépendance industrielle à l’égard de la Chine – illustrée par la crise du Covid – permet de « relativiser la montée en puissance chinoise » assure Frédéric Charillon, professeur de relations internationales et chroniqueur de l’Opinion. D’autant que cette crise provoque des « dégâts dans la perception qu’ont les opinions publiques de la Chine ». Le ton polémique de l’ambassade de Chine à Paris est sans doute très contre-productif pour l’image d’une Chine qui se veut bienveillante.

    Avant la pandémie, la contestation à Hong Kong et le sort des Ouïghours avaient déjà battu en brèche le soft power de Pékin, tourné vers les routes de la soie. Spécialiste de la Chine à Sciences Po, le sociologue Jean-Louis Rocca, peu suspect de partager les critiques idéologiques des néoconservateurs à l’égard de la Chine, estime de la même façon que « lorsqu’un pouvoir est fragile, comme l’est le pouvoir chinois, il en rajoute dans la confiance en soi ». A coup de tweets vengeurs... qui se terminent par une convocation au Quai d’Orsay.

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