• USA : Pete Buttigieg : le nom qu’il va falloir apprendre à prononcer

    Pete Buttigieg : le nom qu’il va falloir apprendre à prononcer

    par Louise Nogara

    6 février 2020

    Qui est le nouveau prodige de la gauche américaine, qui a donc remporté l'Iowa, au nez et à la barbe de candidats bien plus expérimentés?

    Le candidat à la présidentielle démocrate, le maire de South Bend, Pete Buttigieg. Kevin Wolf, AP Photo. Le candidat à la présidentielle démocrate, le maire de South Bend, Pete Buttigieg. Kevin Wolf, AP Photo.

    Les résultats du caucus démocrate de l’Iowa ne sont pas encore consolidés, mais un nom se trouve sur les lèvres de tous ceux qui arrivent à le prononcer : Pete Buttigieg. Qui est le nouveau prodige de la gauche américaine, qui a donc remporté l’Iowa, au nez et à la barbe de candidats bien plus expérimentés ?
    Buttigieg, c’est un progressiste, il a des idées révolutionnaires, comme réformer le collège électoral (ce scrutin indirect qui permet à certains candidats, comme Trump, d’investir la Maison Blanche en ayant davantage de délégués que son adversaire, mais moins de voix) ou encore dépolitiser la Cour Suprême ? Voilà qui renvoie à Howard Dean, fringant candidat démocrate du début des années 2000, ou aux années 1960, une gauche américaine très intellectuelle et pleine d’idées généreuses, ou encore à Robert Kennedy, catholique comme Buttigieg, orateur superbe et héraut de la jeunesse des campus, comme Buttigieg. Mais bien sûr, on le compare plutôt à deux autres figures marquantes. Parce qu’il a 38 ans, qu’il est brillant (diplômé de Harvard, de la bourse Rhodes à oxford), et qu’il n’est pas du sérail, et qu’il est un libéral assumé, très «start-up nation» (Buttigieg fut un ancien du cabinet de consultant McKinsey), on pense à un autre jeune candidat, intellectuel, qui concourait à 39 ans : Emmanuel Macron, dont Buttigieg cite l’exemple, pour expliquer que sa génération peut et doit s’engager. Et puis, parce qu’il est éloquent, qu’il est passé par Harvard, qu’il a ce mélange de flegme et de virtuosité très articulée, très déterminée, le nom de Barack Obama revient inévitablement.

    En réalité, Buttigieg est un cas à part. Obama, même s’il était relativement inconnu avant 2008, avait pris soin de cocher les cases du cursus honorum de la politique américaine : il avait été élu sénateur de l’Illinois, et avait déclamé son fameux discours de 2004, qui l’avait déjà rendu un peu célèbre, et lui avait valu beaucoup de connexions dans l’establishment du parti Démocrate. Buttigieg n’est maire que d’une ville de taille modeste, South Bend, ce qui lui vaut le surnom de «Mayor Pete», et n’a pas remporté d’autres élections. Macron était ministre – Buttigieg, réellement, sort du néant. Il est même, davantage peut-être que Macron, l’homme du «en même temps» : un alliage assez étourdissant de contradictions.

    C’est en effet une figure très singulière. Par où commencer ? Voilà un intellectuel brillantissime, fils de professeur, parfaitement arabophone, polyglotte, qui a par exemple appris le norvégien en quelques semaines pour pouvoir lire son auteur préféré dans le texte, mais, aussi, un jeune Maire ayant redressé sa ville sur les décombres de son industrie déclinante, et qui surtout, appelé sous les drapeaux, sert en Afghanistan pendant sept mois. Il est un catholique, élu dans l’état le plus conservateur des Etats-Unis, l’Indiana, celui de l’ultra-religieux et ultra-réactionnaire vice-président Mike Pence, mais Buttigieg est aussi  homosexuel, ce qu’il revendique. Il a commencé sa campagne en faisant venir sur l’estrade son compagnon, et évoque ouvertement le sujet, ce qui est à la fois terriblement inédit et terriblement courageux. Même Trump a reconnu qu’il fallait du cran, et que l’on devait se réjouir qu’un candidat à la Maison Blanche soit ouvertement gay (mais après tout ne sommes-nous pas en 2020 ?). Idéologiquement, Buttigieg est aussi contradictoire. D’un côté, il raconte sa volonté d’engagement en politique parce qu’il appartient à la génération de la tuerie de Colombine, et du réchauffement climatique : il est le candidat des jeunes progressistes, en pointe sur l’écologie et sur la lutte contre les armes à feu. Mais il flatte aussi l’électorat centriste, avec des positions très modérées sur la Sécurité sociale, et en affichant sa foi. Il parvient, génialement, à dire aux Américains : j’ai fondé une famille aimante parce que je crois en Dieu, et tant pis pour vous si cette famille est gay. A ce sujet, Buttigieg remarque justement que les gens de l’Indiana, réputés réactionnaires, n’en font pas tout un plat. Sur le plan international, Buttigieg veut que l’Amérique soit championne de l’écologie, mais, en tant que vétéran de l’armée, il souhaite aussi une diplomatie musclée : contre Sanders ou Warren, ses concurrents plus à gauche, il ne veut pas d’isolationnisme ou de pacifisme américains.

    Toutes ces raisons font que Buttigieg a remporté un très bon score en Iowa, ce qui, partant de rien, est un exploit. Il a battu Sanders et Warren très expérimentés, et Biden, un ancien vice-Président. Sa stratégie était celle d’Obama en 2008 : tout miser sur le premier Etat des primaires, plutôt Blanc, pour démontrer qu’un outsider peut être validé. En effet, comme Obama en 2008, il lui faut convaincre les Démocrates l’aimant bien, mais peu convaincus qu’un Afro-Américain, ou un gay puisse êtré elu Président, et se retenant donc de voter pour lui, en leur administrant cette preuve d’un grand succès inattendu dans une terre défavorable a priori. C’est le test de ce que l’on appelle l’«électroaffinité», ou potentiel de victoire aux présidentielles, et il est réussi. Buttigieg y est parvenu, mais le désastre de l’organisation, qui dissimule ou obscurcit sa victoire, a masqué ce fait-là. A plus long terme, Buttigieg essaye d’être Biden en plus jeune : le candidat raisonnable, qui vient du pays profond, et qui saura parler aux électeurs de Trump, avec un programme pas trop à gauche.

    Mais, et c’est la dernière chose à dire, Buttigieg a des défauts, surtout au miroir de Biden. L’ancien vice-président est très populaire chez les minorités (Latinos et Afro-Américains) pour des raisons qui tiennent à la carrière du parlementaire Biden, et parce ce qu’il est associé à Obama, le nom magique. Buttigieg, lui, est impopulaire chez les minorités, en partie à cause d’une vieille histoire d’un chef de la police Afro-Américain viré quand il était maire de South Bend. Eh oui, Buttigieg n’est pas Obama. Son story-telling est un peu robotique, loin du charisme cool d’Obama. Obama savait parler à tout le monde, à la fois les ouvriers et les minorités, dans cette «coalition magique» qui lui fit remporter deux élections d’affilé. Buttigieg ressemble à un nerd, comme s’en moque Trump, un «millenial» de la SIlicon Valley, abstrait, appliqué, et a des manières de «vieille politique» tant il est couvé par tous les caciques de l’aile progressiste américaine. Il lui manque – pour l’instant – quelque chose de plus virtuose, malgré sa détermination et son immense intelligence. Sur le créneau du «centriste», il est meilleur que Biden – mais ce n’est pas très dur. S’il veut rééditer l’exploit d’Obama, et se glisser dans les pas de ses légendes, Robert Kennedy et Howard Dean, il lui faudra être bien meilleur, et même meilleur que ce génie néfaste de la politique qu’est Trump. L’homme en est capable, les électeurs lui en laisseront-ils le temps ?

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