• Discriminations envers les musulmans : ce que montrent vraiment les données disponibles

    Marianne

    Discriminations envers les musulmans : ce que montrent

    vraiment les données disponibles

    Lors de la marche contre l'islamophobie, plusieurs manifestants ont arboré une étoile jaune rapprochant le sort des musulmans de celui des Juifs lors des années 1930. - Nicolas Cleuet / Hans Lucas

    Lors de la marche contre l'islamophobie, plusieurs manifestants ont arboré une étoile jaune rapprochant le sort des musulmans de celui des Juifs lors des années 1930. - Nicolas Cleuet / Hans Lucas
    Les enquêtes confirment que les Français pratiquant l'islam sont plus discriminés que les autres. Mais battent néanmoins en brèche l'idée que la situation serait meilleure chez nos voisins ou encore, la petite musique alimentée par certains militants selon laquelle elle serait pire que celle des Juifs.

    L'analogie était très populaire à la marche contre l'islamophobie, le 10 novembre dernier : dans une tragique répétition de l'histoire, les musulmans d'aujourd'hui seraient les Juifs d'hier, des années 1930 plus précisément. Cette comparaison, nous l'avons alors entendue dans le cortège, et aperçu des pancartes qui la mettaient en exergue. Elle a également été nourrie par l'étoile jaune affublée d'un croissant que portaient quelques dizaines de participants à la marche. Enfin, Marwan Muhammad, ancien directeur du CCIF et l'un des initiateurs de l'événement, est friand de ce douteux parallèle. Lors d'une conférence à la mosquée de Vigneux, en 2011, il n'hésitait pas à affirmer : "Cette façon de nommer un culte, cette façon de nommer des croyants, cette façon de les stigmatiser et de dire qu’ils posent problème et qu’ils mettent en péril l’identité du pays, c’est exactement la manière dont on stigmatisait les Juifs au début du siècle dernier".

    Outrancière, la comparaison est bien sûr historiquement inepte. Mais elle mérite toutefois qu'on s'attarde sur le sentiment de discrimination ressenti par les Français de confession musulmane. C'est pourquoi l'institut de sondage Ifop a réalisé pour la Dilcrah et la Fondation Jean-Jaurès une vaste enquête, conduite par téléphone auprès d'un échantillon de 1.007 personnes concernées. Il en ressort que 42% des Français pratiquant l'islam disent avoir été victimes au moins une fois d'une discrimination liée à leur religion. Pour un musulman sur trois, cette discrimination s'est produite lors des cinq dernières années. Parmi les musulmans affirmant avoir été victimes de discriminations, "la discrimination la plus répandue est celle vécue lors de contrôles des forces de l’ordre", commente François Kraus, directeur du pôle Politique-Actualités de l'Ifop. C'est le cas de 28% des musulmans contrôlés par la police. Par ailleurs, 24% de ceux qui ont cherché un emploi, et 22% de ceux qui ont tenté d'obtenir un logement, affirment avoir été victimes d'une discrimination basée sur leur religion. La stigmatisation passe aussi par des insultes : un quart des musulmans rapportent avoir subi des injures liées à leur religion au cours de leur vie, contre 9% chez les non-musulmans. Ce sont les musulmanes arborant un voile qui sont le plus insultées (42%), alors que seuls 19% des hommes l'ont été. Le signe, relève l'Ifop, de l'existence d'une "corrélation entre la visibilité de sa religion et l'exposition à une forme de rejet". Quant aux agressions physiques liées à la religion, elles concernent 7% des musulmans contre 3% du reste de la population.

    Cumul de discriminations

    Là où les choses se compliquent, c'est que les discriminations subies par les Français musulmans s'entremêlent avec d'autres formes de stigmatisation, au premier chef desquelles le racisme à l'encontre des Arabes et des Noirs. "Le rejet dont font l’objet les populations musulmanes en France repose autant sur leur appartenance religieuse que sur leurs origines ethniques", analyse ainsi François Kraus, qui fait valoir que parmi les 40% de musulmans estimant avoir été victimes d'un comportement raciste ces cinq dernières années, 16% l'ont été en raison de leur religion, 15% à cause de leur couleur de peau et 5% de leur nationalité. De quoi confirmer "la difficulté à isoler la référence religieuse dans un processus discriminatoire plus large qui combine d’autres variables". Pour résumer, les Français de confession musulmane souffrent de plusieurs discriminations (racisme, xénophobie, voire mépris de classe) qui se cumulent et s'entrecroisent, dont des attaques spécifiquement liées à leur religion.

    Ce constat étant posé, il convient de le compléter par plusieurs autres données objectives. L'on entend souvent, dans les cercles de militants contre "l'islamophobie", que la France laïque constituerait un territoire spécifiquement hostile envers les musulmans. Une étude publiée en juin 2016 par la Fondapol, intitulée Portraits des Musulmans d'Europe : unité dans la diversité, infirme pourtant ce constat : Vincent Tournier, le chercheur chargé de l'enquête, a demandé à des musulmans habitant plusieurs pays d'Europe s'ils pensaient être discriminés en fonction de leur religion. La France ressort comme le pays où la proportion de musulmans s'estimant discriminés est la plus faible de l'Union européenne, à l'exception notable de la Bulgarie, où les musulmans sont présents depuis plusieurs siècles, héritage de l'empire ottoman. Dans l'Hexagone, ce chiffre atteint 15%, contre 27% aux Pays-Bas, 24% au Royaume-Uni, 19% en Suède ou encore 23% chez nos voisins belges. Le défaut de cette étude de la Fondapol est néanmoins que les données ont été cumulées entre 2002 et 2012, et ne prennent donc pas en compte l'effet des attentats islamistes ayant eu lieu en France depuis 2015, qui ont été suivis par une augmentation des actes hostiles envers les musulmans (qui ont fortement décru depuis). Néanmoins, en l’état, pour François Kraus de l’Ifop, "ces données, qui sont les seules qui permettent une comparaison internationale sur ce sujet, contredisent le discours selon lequel la France, avec sa conception de la laïcité et ses 'lois liberticides' (2004,2010), serait un pays plus hostile aux musulmans que ses voisins européens".

    Extrait du rapport Portraits des Musulmans d'Europe : unité dans la diversité de juin 2016. Données cumulées entre 2002 et 2012.

     Un autre chiffre remet en perspective le niveau de discrimination enduré par les Français musulmans : la comparaison avec les données disponibles concernant l'expérience des citoyens de confession juive. "Ce n’est pas chez les musulmans que les violences liées à la religion sont les plus répandues", rappelle ainsi François Kraus, qui pointe une étude réalisée par l'Ifop en 2015 : on y découvre que 66% des Juifs ont déjà fait l'objet d'insultes liées à leur religion (contre 24% des musulmans), et 34% ont subi des actes de violences physiques (7% des musulmans). Comme pour les femmes voilées, la visibilité de la religion semble jouer un rôle décisif, puisque 83% des hommes portant une kippa régulièrement affirment avoir été insultés, contre 37% de ceux qui n'en arborent jamais. Le sondeur de l'Ifop note qu'il existe des différences méthodologiques entre l'enquête sur les musulmans en 2019 et celle sur les Juifs en 2015, mais estime "qu'au regard de l’ampleur des écarts, il est peu probable qu’un protocole identique en aurait changé fondamentalement les enseignements".

    Sans chercher à nourrir une inutile et néfaste concurrence victimaire, ces chiffres mettent toutefois un peu plus à mal les comparaisons entre les Français musulmans et les Juifs des années 1930. Pour François Kraus, "s'il y a indéniablement une surexposition des musulmans aux discriminations religieuses, ce n'est pas le cas pour ce qui est des agressions verbales ou physiques. Sur ce point, non seulement la situation des musulmans vivant aujourd'hui en France n’est pas comparable à celle des Juifs sous l’Occupation mais elle est aussi éloignée de celle des Juifs vivant dans la France des années 2010…". Enfin, d’autres données battent en brèche l’idée selon laquelle les actes antimusulmans exploseraient en France depuis quelques années. En effet, les dernières données du ministère de l’intérieur (SCRT) tendent au contraire à montrer une décrue continue des actes anti-musulmans depuis 2015 : 100 en 2018, contre 121 en 2017, 185 en 2016 et 429 en 2015 (année record suite aux divers attentats). Reste à savoir si ces chiffres repartiront à la hausse, après les diverses polémiques ayant suivi l’attentat de la préfecture de police.

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