Les poumons de patients atteints de la maladie Covid-19 fabriquent de nouveaux vaisseaux sanguins à un stade précoce de la maladie, un processus qui augmente avec la durée d’hospitalisation. Tel est le résultat « inattendu » d’une étude autopsique réalisée par une équipe d’anatomopathologistes et pneumologues allemands (Wuppertal, Mayence, Hanovre), belges (Louvain), suisses (Bâle) et américains (Harvard Medical School, Boston) et publiée en ligne le 21 mai dans l’hebdomadaire médical américain The New England Journal of Medicine.
Ces travaux soulignent le rôle majeur que joue la pathologie vasculaire pulmonaire dans l’infection par le coronavirus SARS-CoV-2. Ils fournissent de précieuses informations sur les modifications observées au niveau de ce que les spécialistes appellent le « poumon périphérique », c’est-à-dire en profondeur, au niveau des lobules pulmonaires qui constituent les unités anatomiques et physiologiques du poumon où s’effectuent les échanges gazeux entre les alvéoles et les capillaires sanguins.
Dans un éditorial associé à l’article, des chercheurs du Massachusetts General Hospital (Boston, Etats-Unis) considèrent que les résultats publiés sont « intrigants ». Selon eux, ils représentent une contribution importante dans la compréhension du syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA).
Les chercheurs ont examiné sept poumons prélevés lors de l’autopsie de patients atteints de Covid-19* et les ont comparés à sept poumons provenant de patients décédés en 2009 de pneumonie causée par le virus grippal H1N1 ainsi qu’à dix poumons sains qui n’avaient finalement pas été utilisés à des fins de transplantation et qui ont donc servi d’échantillons témoins.
Les chercheurs ont utilisé plusieurs techniques pour analyser les poumons : l’immunohistochimie (qui permet de visualiser, en différentes couleurs, la présence de protéines dans les sections du tissu pulmonaire), la microscopie électronique à balayage (qui produit des images en haute résolution de la surface des échantillons), la « corrosion casting » (qui permet d’examiner la micro-vascularisation des tissus via la création d’une réplique du réseau vasculaire). Les moulages vasculaires obtenus reflètent précisément les connexions vasculaires. Les images obtenues fournissent des détails tridimensionnels impressionnants des vaisseaux sanguins. Par ailleurs, les chercheurs ont réalisé des images microscannographiques permettant de visualiser des structures vasculaires avec une haute résolution spatiale. Enfin, ils ont réalisé une analyse de l’expression des gènes dans les cellules des échantillons pulmonaires.
Tous les poumons des patients décédés de la Covid-19 ou de la grippe ont présenté une atteinte alvéolaire diffuse avec notamment une nécrose des petites cellules bordant les alvéoles et des dépôts de fibrine (protéine provenant de l’activation de la coagulation) dans la cavité alvéolaire. De même, des infiltrats de cellules inflammatoires (lymphocytes T CD4+) ont été observés à proximité des vaisseaux dans les deux groupes de patients, mais en plus grand nombre dans la Covid-19 que dans la grippe. Voilà pour les caractéristiques communes à ces deux pathologies virales pulmonaires. D’autres permettent en revanche de différencier l’atteinte vasculaire au niveau pulmonaire dans la Covid-19.
Des vaisseaux pulmonaires tortueux
En examinant l’architecture des micro-vaisseaux pulmonaires au microscope électronique à balayage couplée à la technique du corrosion casting, les chercheurs ont observé un réseau vasculaire distordu avec des capillaires déformés. Dans les poumons des patients Covid-19, les capillaires allongés présentaient de brusques changements de calibre. Surtout, les chercheurs ont observé la formation de nouveaux vaisseaux sanguins, un résultat auquel ils ne s’attendaient pas. Ce phénomène, appelé angiogenèse, aboutit à la formation de nouveaux capillaires sanguins à partir de vaisseaux préexistants.
Angiogenèse du deuxième type
La plupart du temps, l’angiogenèse procède par bourgeonnement (sprouting, en anglais), autrement dit des cellules endothéliales prolifèrent à partir des extrémités et des parois latérales des vaisseaux préexistants, migrent et s’organisent en structures tubulaires qui se connectent aux vaisseaux voisins. Les chercheurs ont certes observé ce phénomène dans le poumon de patients Covid-19. Mais ils ont surtout remarqué qu’une angiogenèse d’un deuxième type se produisait : une angiogenèse par intussusception.**
Remodelage vasculaire par angiogenèse par intussusception, avec création d’un « pilier ». Djonov V, Baum O, Burri PH. Cell Tissue Res. 2003;314(1):107‐117.Ce mécanisme repose sur la prolifération de cellules endothéliales à l’intérieur même du vaisseau. Des ponts (appelés « piliers ») se forment et traversent le vaisseau qui se remodèle pour donner naissance à deux nouveaux vaisseaux, voire plusieurs.
Reconstruction en accéléré du remodelage vasculaire par angiogenèse par intussusception. Djonov V, Baum O, Burri PH. Cell Tissue Res. 2003;314(1):107‐117.Les chercheurs ont observé de tels piliers par corrosion casting et microscopie électronique à balayage.
Images en microscopie électronique à balayage couplée à la technique de « microvascular corrosion casting ». A : fin réseau de capillaires alvéolaires d’un poumon sain. B : architecture nettement désordonnée dans le poumon d’un patient atteint de Covid-19. La perte de l’organisation d’un réseau capillaire alvéolaire est la conséquence de la formation de nouveaux vaisseaux sanguins via une angiogenèse par intussusception. Ackermann M, et al. N Engl J Med. Published online, 2020 May 21. Ackermann M, et al. N Engl J Med. Published online, 2020 May 21.Des travaux supplémentaires sont nécessaires pour déterminer si le degré de l’atteinte endothéliale (endothélite) et l’importance des thromboses concourent à une plus grande fréquence des mécanismes d’angiogenèse par bourgeonnement et par intussusception chez les patients Covid-19 et si ceux-ci évoluent avec la trajectoire clinique de la maladie.
Les chercheurs soulignent que le degré d’angiogenèse par intussusception a augmenté significativement avec la durée de l’hospitalisation chez les patients Covid-19. En revanche, dans les poumons des patients décédés de la grippe, ce phénomène est de moindre ampleur et n’augmente pas au fil du temps.
Atteinte des cellules endothéliales
Autre enseignement de cette étude : il existe dans la Covid-19 une atteinte sévère des cellules qui tapissent la paroi interne (endothélium) des vaisseaux sanguins et qui sont en contact direct avec le sang. De forme aplatie, les cellules endothéliales assurent une surface glissante qui empêche normalement la coagulation. Un plus grand nombre de cellules porteuses à leur surface du récepteur ACE2 (qui sert de porte d’entrée cellulaire pour le coronavirus SARS-CoV-2) a été observé chez les patients Covid-19 que chez ceux atteints de grippe. De même, des changements significatifs des cellules endothéliales ont été notés chez les patients Covid-19, un résultat en faveur du rôle central de ces cellules dans la maladie. Dans les échantillons des patients Covid-19, les cellules endothéliales, normalement reliées entre elles par des jonctions serrées, ne l’étaient souvent plus. D’un volume augmenté, elles avaient perdu le contact avec la membrane basale sur laquelle elles reposent habituellement.
Image en microscopie électronique. Destruction d’une cellule endothéliale transmission avec présence du virus SARS-CoV-2 visible à l’intérieur de la membrane cellulaire (têtes de flèches blanches dans le carré situé en haut à droite). Le trait noir correspond à 5 micromètres. RC (red cells) : globules rouges. Ackermann M, et al. N Engl J Med. Published online, 2020 May 21.Par ailleurs, les chercheurs ont observé le virus SARS-CoV-2 à l’intérieur de cellules endothéliales pulmonaires (de même que dans l’espace extracellulaire). Ces résultats confortent ceux rapportés fin avril par une équipe suisse qui avait réalisé une étude autopsique. Celle-ci avait montré la présence de particules virales dans des cellules endothéliales vasculaires dans le rein chez un patient, dans l’intestin grêle chez un autre. L’atteinte des cellules endothéliales pulmonaires pourrait résulter à la fois de l’effet direct des particules virales et de la présence de cellules inflammatoires dans l’environnement immédiat des vaisseaux.
Plusieurs microthrombus dans les cloisons inter-alvéolaires (poumon d’un patient décédé de la maladie Covid-19). Multiples microthrombus fibrineux (flèches noires) dans les capillaires alvéolaires. Présence de globules rouges et d’un réseau lâche de fibrine (protéine provenant de l’activation de la coagulation) dans l’espace intra-alvéolaire. Ackermann M, et al. N Engl J Med. Published online, 2020 May 21.Micro-caillots dans les capillaires alvéolaires
Les poumons des patients Covid-19 présentent, comme ceux des patients décédés de la grippe, de façon diffuse des caillots (thrombus) dans des artères pulmonaires d’un diamètre compris entre 1 et 2 millimètres), sans obstruction complète de ces petits vaisseaux.
Chez les patients Covid-19, les chercheurs ont néanmoins observé une présence nettement plus importante de microthrombus dans les capillaires alvéolaires, en l’occurrence neuf fois plus élevée que dans la grippe.
Enfin, des microthrombus ont également été observés dans les petites veines de moins de 1 millimètre de diamètre qui font suite aux capillaires et qu’on appelle les veinules post-capillaires. Ces données histologiques ont été confirmées par les images obtenues par la microscannographie tridimensionnelle. Les poumons de patients atteints de Covid-19 et de grippe présentaient en effet des occlusions quasi-totales des vaisseaux pré-capillaires et post-capillaires.
Enfin, les chercheurs ont analysé l’expression de 323 gènes impliqués dans les phénomènes de l’angiogenèse. Au total, il s’avère que 69 de ces gènes sont exprimés uniquement dans le tissu pulmonaire des patients Covid-19.
Cette étude souligne l’importance cruciale des autopsies pour réaliser une description précise et conduire des analyses sophistiquées des lésions associées à une nouvelle maladie. Elle contribue en l’occurrence un peu plus encore à faire des cellules endothéliales des acteurs majeurs de la physiopathologie du syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) associé à la Covid-19. On observe ainsi une atteinte inflammatoire de ces cellules vasculaires au niveau pulmonaire (endothélite). De plus, ces cellules sont impliquées dans les processus conduisant à la formation de thrombus (activation de la cascade de la coagulation) et la formation de nouveaux vaisseaux sanguins (angiogenèse par intussusception).
La possibilité que les cellules endothéliales jouent un rôle central dans la Covid-19 a déjà incité au développement de stratégies thérapeutiques. Des essais cliniques sont en cours.***
Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, sur Facebook)
* Aucun des patients Covid-19 décédés n’avait eu de ventilation mécanique (deux avaient reçu une ventilation non invasive), alors que 5 des 7 patients morts de la grippe avaient été ventilés.
** L’angiogenèse par intussusception a été découverte de manière fortuite en 1990 par une équipe suisse qui travaillait sur les poumons du rat et de l’homme. Ce mécanisme angiogénique ne consiste pas en une prolifération de vaisseaux préexistants mais plutôt en un réarrangement de structures vasculaires préformées. Les parois de deux capillaires entrent en contact et finissent par former au niveau de la zone de contact un pont (ou « pilier ») qui va finalement délimiter deux nouveaux vaisseaux par subdivision. Depuis, un troisième type d’angiogenèse a été découvert, en l’occurrence un mécanisme de néovascularisation dans lequel on observe un étirement mécanique des vaisseaux préexistants.
*** Un essai clinique évalue l’effet de cibler l’angiopoïétine 2 chez des patients Covid-19, partant du constat que des taux circulants élevés d’angiopoïétine 2 (un régulateur de l’angiogenèse) sont corrélés avec une augmentation de l’œdème pulmonaire et de la mortalité chez les patients présentant un syndrome de détresse respiratoire aiguë. Enfin, plusieurs essais évaluent le bevacizumab, un anticorps spécifiquement dirigé contre le VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor ou facteur de croissance de l’endothélium vasculaire), un facteur clé de l’angiogenèse.