La menace de boycott plane au-dessus des épreuves communes de contrôle continu. Alors que les élèves de première vont commencer à plancher dans les prochains jours sur l'histoire-géographie, les deux langues vivantes et, uniquement pour la filière technologique, les mathématiques - qui compteront pour 30% dans la note finale du baccalauréat - certains professeurs menacent de ne pas surveiller les épreuves ni de corriger les copies.
Un lycée sur dix
C'est le cas dans un lycée d'Asnières-sur-Seine, dans les Hauts-de-Seine, où une quarantaine d'enseignants ont voté en début de semaine à l'unanimité le boycott des épreuves pour leurs dix classes de première.
"Nous ne choisirons pas de sujet, nous ne surveillerons pas les épreuves et nous ne corrigerons pas non plus les copies", assure à BFMTV.com Jean-Rémi Girard, président du Syndicat national des lycées et collèges (Snalc), un syndicat du personnel de l'Éducation nationale, et enseignant de lettres modernes.
Sud-éducation "soutient toutes les actions locales qui entraveraient les épreuves" et appelle les enseignants "à déposer des préavis de grève le jour de leur tenue", déclare à BFMTV.com Brendan Chabannes, co-secrétaire de la fédération. "Les enseignants sont très en colère", ajoute ce professeur de lettres modernes dans un lycée d'Amiens.
"C'est difficile de mesurer exactement l'ampleur du phénomène mais selon une enquête menée auprès de notre réseau, il semblerait qu'environ un lycée sur dix soit concerné par ce type d'initiatives, avec des académies plus ou moins marquées que d'autres", indique à BFMTV.com Claire Krepper, secrétaire nationale du syndicat d'enseignants SE-Unsa.
Un appel à "renoncer" aux E3C
Ces épreuves communes de contrôle continu, également appelées E3C, sont l'une des grandes nouveautés de la réforme du bac voulue par Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'Éducation nationale, qui a instauré une part de contrôle continu avec notamment la prise en compte des notes du bulletin à hauteur de 10%.
Si pour les élèves, cette première session d'examens - une seconde, avec les mêmes disciplines, se tiendra entre avril et mi-juin - est avant tout synonyme de stress, pour les enseignants, les griefs sont nombreux.
Douze organisations syndicales ont ainsi interpellé le ministre en fin de semaine dernière pour l'appeler à "renoncer" à cette session d'E3C. Dans ce courrier, ces enseignants et lycéens alertent le locataire de la rue de Grenelle sur les difficultés "tant techniques que pédagogiques" que posent ces épreuves. Ils évoquent notamment l'ouverture tardive de la banque nationale de sujets, les difficultés posées par la correction dématérialisée (cette année, pour la première fois, les copies du bac seront numérisées) ou encore des grilles d'évaluation qui apparaissent "complexes et dénuées de sens par rapport aux exigences requises".
"Les élèves ne maîtrisent pas la méthode"
"Les enseignants ont l'impression que la mise en place de ces épreuves s'est faite dans la précipitation et ont le sentiment de ne pas avoir pu correctement faire leur travail afin de préparer les élèves", poursuit Claire Krepper, du SE-Unsa. Elle indique que pour certaines épreuves, il leur a même été très difficile d'identifier un sujet dans la banque nationale qui corresponde aux chapitres abordés en classe depuis le début de l'année scolaire.
"C'est en mathématiques que cela pose le plus problème, poursuit Jean-Rémi Girard, du Snalc. La plupart des sujets font référence à plusieurs chapitres. Or, les élèves n'ont pas forcément traité ce cocktail de thématiques. Les collègues nous signalent aussi que les élèves ne maîtrisent pas encore la méthode, notamment l'analyse de documents en histoire-géographie."
Ce syndicaliste dénonce une précipitation à tous les niveaux alors que les enseignants ont attaqué les programmes en septembre sans savoir comment les élèves seraient examinés, quels types de sujets leur seraient proposés ou comment ils seraient évalués - la banque nationale de sujet n'a été ouverte que le 9 décembre.
Certains établissements orientent-ils leurs élèves?
Sophie Santraud, professeure de sciences de la vie et de la Terre à Villers-Cotterêts, dans l'Aisne, et secrétaire fédérale au Sgen-CFDT, partage les mêmes inquiétudes. Si son syndicat n'appelle pas au boycott des épreuves, elle dénonce un état général "d'impréparation". "Dans mon établissement, la rectrice nous a autorisés à prendre deux demi-journée pour se concerter sur les sujets, témoigne-t-elle pour BFMTV.com. Mais ce n'est pas le cas partout."
Notamment dans l'établissement de Jean-Rémi Girard à Asnières-sur-Seine où la direction a dû annoncer aux parents d'élèves que les épreuves, qui devaient originellement se tenir lundi et mardi prochain, étaient repoussées. "Aucun temps n'a été prévu pour que les équipes puissent se concerter sur les épreuves et leurs corrections. Les E3C s'ajoutent à des difficultés déjà existantes, ce qui rend les situations explosives", regrette-t-il. Il redoute par ailleurs une rupture d'égalité entre les candidats.
"On peut légitimement craindre que certains établissements, afin d'obtenir de bons résultats au bac, orientent leurs élèves dans leurs révisions en fonction des sujets qui auraient été choisis."
Sur un groupe Whatsapp d'enseignants circule notamment une capture d'écran non identifiée qui montrerait des recommandations d'un proviseur afin de "faciliter" les révisions de ses élèves. Dans le message, il leur préciserait le chapitre sur lequel porterait l'épreuve d'histoire-géographie. S'il est difficile d'identifier la source exacte de ce message, il est le signe pour les professeurs que ces épreuves sont déjà discréditées, les sujets n'étant pas scellés et donc accessibles aux personnels des lycées.
"Ça en dit long sur la désorganisation, pointe Brendan Chabannes, de Sud-éducation. Tout est fait dans l'improvisation, ça casse le caractère national de cet examen. Nous qui sommes attachés à la réussite de nos élèves, ça nous met le moral à zéro."
50 euros par paquet de copies
L'autre point de crispation, ce sont les indemnités prévues pour la correction de ces E3C. Soit 50 euros par paquet de copies. Une rémunération "parfaitement indigne et honteuse", déplore Jean-Rémi Girard, du Snalc. À titre de comparaison, une copie d'une épreuve finale du bac est indemnisée à hauteur de 5 euros.
"C'est une aumône, d'autant que les copies du bac n'ont pas besoin d'être annotées alors que pour celles des E3C, les élèves auront besoin des observations des professeurs puisqu'ils pourront les consulter dans le cadre du contrôle continu."
Pour Claire Krepper, du SE-Unsa, cette indemnité - "décidée sans concertation avec les syndicats" - ne prend pas en compte le fait que certains paquets, notamment pour les langues rares, puissent contenir peu de copies, contrairement à l'anglais ou à l'histoire-géographie.
"Dans mon lycée, il n'y a qu'une seule professeure d'allemand, raconte Sophie Santraud, du Sgen-CFDT. Les copies de ses élèves seront donc transmises à une enseignante d'un autre établissement. Cette dernière va récupérer 54 copies alors que ma collègue aura la chance de n'en corriger que 14". Une réunion doit justement se tenir lundi au ministère à ce sujet.